Publié le 19 Juillet 2023

Du lundi 22 juin au vendredi 26 juin 2009, France Culture diffusait 5 entretiens de Krzysztof Warlikowski au moment où il mettait en scène à l’opéra Bastille ‘Le Roi Roger’ de Karol Szymanowski pour clôturer les 5 ans du mandat de Gerard Mortier.

Ces 5 entretiens, menés par Joelle Gayot en février 2009 pour l'émission 'A voix nue', s’intitulaient respectivement ‘Pologne, je te « haime »’, ‘ Shakespeare, père et mère de théâtre’, ‘Je est mon autre’, ‘La leçon d’anatomie’, et ‘Le visible et l’invisible’.

Ils sont indispensables pour qui souhaite comprendre la construction de la pensée de ce très grand metteur en scène de théâtre et d’opéras.

Après ‘Pologne, je te « haime »’, le second de ces 5 entretiens est intégralement retranscrit ci-dessous.

Krzysztof Warlikowski - Les Contes africains (Théâtre Chaillot, le 17 mars 2012)

Krzysztof Warlikowski - Les Contes africains (Théâtre Chaillot, le 17 mars 2012)

A voix nue : Joelle Gayot s’entretient avec Krzysztof Warlikowski (diffusion sur France Culture, le mardi 23 juin 2009)
Shakespeare, père et mère de théâtre

J.G : Hier, nous avons évoqué la terre natale du metteur en scène, c’est à dire la Pologne, et nous allons pour cette seconde rencontre nous attarder sur une autre terre, celle de William Shakespeare, une terre qui est une maîtrise d’un autre genre, tout aussi décisif dans le travail qui est le votre, Krzysztof Warlikowski, puisque sans le passage dans ces territoires, votre rapport au théâtre et à la mise en scène serait probablement tout autre. 

Pour autant, il n’y a pas de hasard si  Shakespeare est à ce point nourricier, à la fois père et mère de votre geste artistique, et dès lors que vous l’avez découvert, vous ne l’avez plus lâché, Shakespeare lu avidement alors que vous étiez, je crois , lycéen, et objet ensuite d’une dizaine de vos mises en scène. Il y eut en 1994 ‘Le Marchand de Venise’, en 1997 ‘Le Conte d’Hiver’, en 1997 puis 1999 ‘Hamlet’, en 1998 ‘La Mégère apprivoisée’, en 1999 ‘La Nuit des Rois’, en 2003 ‘La Tempête’, en 2004 ‘Macbeth’, et bien sûr le ‘Le Songe d’une nuit d’été’ que vous avez mis en scène avec des acteurs français à Nice.

Alors, ‘Shakespeare, votre contemporain’,  pour reprendre une célèbre formule de Jan Kott qui lui avait consacré un important essai,  si ce n’est pas une passion pour vous, Krzysztof Warlikowski, cela y ressemble à s’y méprendre. C’est une passion?

K.W : C’est une passion, c’est une connaissance, c’est la ressemblance, c’est le personnage, c’est lui-même, c’est l’humain, Shakespeare, qui, à un certain moment, est apparu en homme concret comme quelqu’un que je connaissais très bien après avoir travaillé sur plusieurs mises en scène.

Mais, en travaillant sur Shakespeare, j’ai fait la connaissance de Bernard-Marie Koltès et de Sarah Kane, et en revenant à Shakespeare après les avoir rencontrés, cela a enrichi la continuation avec lui.

Avec Koltès, Sarah Kane et Shakespeare, j’avais donc des partenaires pour mon travail, et, à part toute la machinerie théâtrale, comédiens, scénographes, etc., il y avait un autre ego que je plaçais dans ces trois auteurs.

Bien sûr, c’était plus facile avec Koltès et Sarah Kane, car ils étaient beaucoup plus mes contemporains, et avec ce que j’avais compris d’eux, de la part du Français et de l’Anglaise, mon contact avec cet anglais d’une autre époque en devenait facilité. Je pouvais enfin dire que je les connaissais tous les trois, car ils étaient des écrivains avec lesquels je pouvais partager mes angoisses, mes peurs, ma lutte et ma révolte.

 

J.G : Des auteurs avec qui vous partagiez ces angoisses, ces peurs, cette révolte, Krzysztof Warlikowski, ou qui vous ont sans doute permis de les mettre à jour et de les exprimer? Shakespeare a t-il été également un révélateur de vous-même?

K.W : Oui, c’était une écriture qui, au fur et à mesure, s’est avérée être la mienne. Elle m’exprimait autant qu’elle les exprimait, et je ne crois pas les avoir trahis dans mes interprétations. Ces trois rares auteurs, dont il ne m’est pas possible d’être au même niveau, ni de les dépasser, et avec lesquels tu n’es jamais satisfait de ton propre travail, ouvrent des options et des questions sans jamais clore quoi que ce soit.

 

J.G : Est-ce que cela ouvre le geste formel du metteur en scène?

K.W: Grâce à ces trois auteurs qui sont tellement du côté du contenu, qui sont tellement du côté du sens, qui sont tellement du côté des émotions, de leurs peurs, de quelque chose de très personnel, et donc qui sont du côté de ce qu’ils disent, et non pas de comment ils le disent, le geste théâtral formel reste second par rapport au dialogue avec ce qu’ils veulent dire, ce qui est le plus important.

Le geste théâtral formel vient facilement après, comme une partie de moi, une certaine poétique, une certaine forme, mais cette forme n’est jamais là au départ, et c’est grâce à ces auteurs qui sont tellement riches de ce qu’ils disent, de ce qu’ils sentent, de ce qu’ils expriment sur l’univers, que le geste formel reste sans importance.

Et comme je le disais, moi, artiste, jeune égocentrique, excentrique, qui cherche sa forme, j’ai mis du temps à comprendre qu’il fallait commencer avec ce qui me tourmente et non pas comment le dire. C’était cela, la leçon de ces trois auteurs.

 

J.G : Est-ce que l’on rentre facilement, sans rencontrer d’opposition, à l’intérieur d’une pièce de Shakespeare?  Car on peut rencontrer des obstacles sérieux qu’il faut contourner, et d’ailleurs, quand vous mettez en scène, il vous arrive parfois de bousculer Shakespeare, d’inverser l’ordre des scènes.

K.W: Shakespeare est très pervers si l’on s’intéresse à trois de ses pièces exemplaires telles ‘La Mégère apprivoisée’, ‘Otello’ et ‘Le Marchand de Venise’, car on a donné pendant des siècles des interprétations opposées au sens que j’avais trouvé chez lui.

Jusqu’au film de Franco Zeffirelli et les mises en scène que l’on peut voir aujourd’hui, ‘La Mégère apprivoisée’ est simplement une mégère, avec ce monologue final où elle dit qu’elle a finalement compris que son mari est son maître, et que sa vie est totalement soumise à la sienne, qu’elle ne peut lui donner que son amour, alors que son mari lutte pour elle quelque part sur un bateau. 

Et en même temps, il s’agit d’un texte dit par une femme qui est humiliée, qui est complètement anéantie, en temps que personne, donc cette notion de ‘mégère’ est une notion qui provient de l’univers qui l’entoure, qui la qualifie ainsi, où qui la rend ‘mégère’. 

‘La femme’ n’est pas par définition ‘mégère’, et n’a pas besoin d’être apprivoisée comme un animal, donc, dans le titre, il y avait déjà un paradoxe dont il a fallu des siècles entiers pour le faire ressortir, parce que rarement a-t-on dit que Shakespeare avait fait une plaisanterie anti-misogyne pour dire qu’il était contre cet univers de machos qui est resté dominant jusqu’à aujourd’hui.

Ce monologue final est donc quelque chose de très amer, une prière comme dans la Bible lorsqu’elle nous dit que la femme doit être soumise, que la femme doit aimer quoi que fasse l’homme. Il y avait donc une opposition qu’il n’était pas possible de faire ressortir. 

Ainsi, pendant un certain temps, j’avais considéré que c’était une comédie légère, mais ce fut un véritable choc lorsque je suis rentré dans le texte et que j’ai constaté à quel point ce qu’il voulait dire était révolutionnaire.

De la même manière, dans ‘Le Marchand de Venise’, par cette façon de s’intéresser à un juif dans son temps, est-ce un texte antisémite ou bien un texte anti-antisémite? Et ‘Otello’, est-ce un texte raciste ou anti-raciste? J’ai eu du mal, dernièrement, à lire ‘Otello’, tant il y a d’invectives contre les noirs dans ce texte à un point que je n’en ai pas autant entendu au cours des trois dernières années de ma vie.

On voit ainsi la perversité de ces sujets cruciaux jusqu’à aujourd’hui, qu’ils traitent de la race, de la femme ou des juifs, et Shakespeare a eu du courage de mettre le juif, qui veut le cœur du chrétien, du côté des personnages négatifs. Il y a un jugement, et lui même est jugé à ce moment là, si bien qu’on ne lui laisse pas prendre le cœur du chrétien. Mais le chrétien souhaite qu’il change de religion. A cette époque, il était facile d’imposer une religion à quelqu’un en le menaçant de mort.

Aujourd’hui, et surtout depuis l’Holocauste, on se pose cette question et l’on essaye de respecter la religion de chacun.

Mais quand on entend toutes les déclarations qui viennent de Rome, ces bonnes paroles du dimanche auxquelles on ne comprend rien, on voit que le monde est toujours à rebours comme l’a présenté Shakespeare.

Andrzej Chyra, Isabelle Huppert et Krzysztof Warlikowski lors d'une rencontre avec le public à propos de "Un Tramway" nommé désir (Théâtre de l'Odéon, le 13 février 2010)

Andrzej Chyra, Isabelle Huppert et Krzysztof Warlikowski lors d'une rencontre avec le public à propos de "Un Tramway" nommé désir (Théâtre de l'Odéon, le 13 février 2010)

J.G : Au fond, dans ce que vous pouvez dire des mises en scène de Shakespeare, Krzysztof Warlikowski, vous êtes très agacé que l’on monte Shakespeare sagement en respectant les conventions, et j’ai l’impression que vous êtes en train de dire que c’était sans doute un vilain garçon, et qu’il ne faut pas hésiter à faire apparaître ce côté là.

K.W: Quand j’ai commencé à travailler sur ‘Le Songe d’une nuit d’été’, équipé de Jan Kott, j’ai pris l’exemplaire de l’édition française, une édition ‘Acte Sud’, je crois, et j'ai lu la chose suivante : ‘Le Songe d’un nuit d’été’, l’une des comédies les plus joyeuses, pleine de lumière. 

Avec cette première phrase, je me suis demandé où l’on était, car je pensais que la porte ouverte par Kott restait ouverte, mais avec une introduction comme celle-ci, qu’apprend-on de Shakespeare?

On ne sait alors rien de Shakespeare et l’on revient à chaque fois en arrière.

Parce qu’en me confrontant à ce texte – alors que je m’étais attaqué à des textes marginaux où les interprétations n’étaient pas tellement apprivoisées –, j’approchais le centre de ce qu’était la pièce de Shakespeare la plus jouée et la plus joyeuse.

Et en lisant cette pièce, je me suis dit que c’était un bon scénario pour un club, genre souterrain défendu, une boite de nuit comme dans le film de Stanley Kubrick ‘Eyes wide shut’, un club qui ne fait pas partie de la vie officielle, où l’on n’a pas d’entrée si l’on ne connaît pas quelqu’un.

Le climax de la programmation de cette boite serait la copulation d’une femme avec un âne, et je n’y ai vu que les ténèbres, et absolument rien de joyeux.

Bien sûr, il s’agissait d’un Shakespeare jeune, plus révolté et direct, qui osait les choses, même si pendant plusieurs siècles nous avons travaillé à atténuer ce qu’il nous donne comme matière de sa révolte de jeunesse, cette découverte du paradoxe qu’il n’appartient pas vraiment à cette société où il vit.

Il y a un grand problème, dans ce texte, à se sentir d’un seul coup seul, avec ses imaginations, ses désirs, ses peurs, et avec les mensonges culturels qui nous entourent, qui nous sont imposés, et qui nous cachent nous-mêmes à nous-mêmes.

Ludovic Tézier et Krzysztof Warlikowski répétant 'Hamlet', opéra d'Ambroise Thomas inspiré de Shakespeare (Opéra Bastille, le 02 mars 2023)

Ludovic Tézier et Krzysztof Warlikowski répétant 'Hamlet', opéra d'Ambroise Thomas inspiré de Shakespeare (Opéra Bastille, le 02 mars 2023)

J.G : On peut parler effectivement du ‘Songe d’une nuit d’été’, mais on pourrait aussi parler d’’Hamlet’ – une mise en scène de Patrice Chéreau l’avait d’ailleurs parfaitement mis à jour il y a quelques années -, pour montrer que ce qu’il y a dans Shakespeare est à la fois de l’ordre du fantasme mais aussi de l’ordre d’une certaine sauvagerie qui serait inhérente à la personne humaine. Êtes-vous sensible à cette sauvagerie, Krzysztof Warlikowski?

K.W:  quand j’ai commencé à travailler sur ‘Hamlet’, j’ai commencé à me sentir complètement sauvage. J’étais dans un théâtre qui commençait à peine, où il n’y avait plus de public, l’intelligentsia polonaise avait disparu du théâtre, à un moment où l’on était en chute, où nous n’avions plus d’argent pour aller au théâtre, et où l’on ne faisait plus attention à faire partie de cette vie culturelle en Pologne.

J’étais avec plusieurs comédiens, un peu perdus comme moi, ex-alcooliques, homos, des gens de province, un mélange absolument pas classique, absolument pas au niveau du théâtre national où l’on aurait pu donner la représentation de ‘Hamlet’. 

Dans le vide de Varsovie où il n’y avait pas de ‘Hamlet’, je me suis décidé à faire ma version de ‘Hamlet’ avec mes ratés. Ce serait un Hamlet raté, y compris tous les autres personnages.

Stanisława Celińska, qui incarnait Gertrude, était une ex-alcoolique, et l’on voulait commencer par le mariage avec Claudius. Je voulais qu’elle se marie en robe blanche, ce qui n’est pas convenable pour le second mariage après le deuil.

Elle ne rentrait pas dans la robe, et tout son corps ressortait de cette robe, et quand elle s’est vue dans le miroir, elle qui était une ex-beauté qui était allée à Cannes avec Monica Vitti pour un film d’Andrzej Wajda ‘Paysage après la bataille’, elle a commencé à pleurer quand elle a vu ce qu’elle était devenue avec le temps.

C’était une femme rousse avec plein de grains de beauté, et tout son corps était exposé dans sa déformation qui faisait aussi la beauté de ce corps. Et lorsque l’on a commencé ce spectacle antihéroïque, nous avons complètement abîmé Jacek Poniedzialek, comédien polonais qui revient dans chaque mise en scène, pour être un Hamlet un peu bizarre, alors qu’il était beau garçon, et en faire un écorché vif.

En tant qu’écorché vif, il a commencé à répéter cet Hamlet, et peut-être était-il homosexuel?

Et Varsovie est venu voir cet Hamlet et l’a refusé. Je leur disais que c’était le Hamlet des années 1980-1990, que pour la Pologne ils étaient des ratés, des déformés, des malades, qu’ils souffraient, que leur langage était nul et qu’ils ne parlaient plus avec le langage hautain qu’ils avaient tenu pendant longtemps dans les théâtres, et qu’ils devenaient maintenant des humains polonais.

Dans l’état où ils étaient après la guerre, après le communisme, ainsi était devenu leur univers.

 

J.G : Les critiques en Pologne ont dit que c’était un ‘Hamlet’ pornographique. Et si Shakespeare était pornographique, serait-ce à ce point un problème?

K.W:  Je dirais qu’en tant que bon auteur, Shakespeare ne s’évade pas de la zone érotique, de la zone corporelle, parce que c’est la moitié de notre nature. C’est quelqu’un qui est d’accord avec son corps, et qui exprime à chaque fois la transcendance du corps, comme on le voit dans chaque pièce de théâtre.

Quand tu entends ces jugements naïfs sur Shakespeare, à propos des personnages de Rosencrantz et Guildenstern où on pensait traditionnellement que c’étaient des ‘homosexuels’, alors que le public ne voyaient pas les vrais homosexuels, car presque chaque être chez Shakespeare est assez ambigu sur ce plan là.

 

J.G : Sans parler du rapport incestueux qui est également très fort et très déployé dans toutes les pièces. Il n’y a pas de tabou. Quand on met en scène, faut-il s’imposer à soi même des limites, sinon cela pourrait aller trop loin d’un point de vue artistique?

K.W: On n’a pas de limites de la même manière que l’on n’a pas de préjugés. Et l’on croit que les choses sont toujours ainsi. Dans la fameuse scène où Hamlet va voir sa mère dans sa chambre – scène extrêmement difficile et essentielle -, l’acteur nous a surpris en se mettant à poil. 

Les analyses viennent plus tard et l’on nous dit que c’est l’enfant qui vient, et il vaut mieux qu’il soit à poil parce qu’il se met en situation du faible en découvrant sa faiblesse à sa maman.

Et à partir de là, on peut multiplier les théories, mais il s’agit d’intuitions qui ne sont pas prévues au départ, et qui arrivent pourtant.

Magdalena Cielecka et Krzysztof Warlikowski - La Fin. (Koniec) (Théâtre de l'Odéon, le 5 février 2011)

Magdalena Cielecka et Krzysztof Warlikowski - La Fin. (Koniec) (Théâtre de l'Odéon, le 5 février 2011)

J.G : Pour revenir à la perversité dont vous parliez à propos de Shakespeare, vous dites aussi qu’il fait de fausses résolutions, mais il ne faut pas croire qu’il y a chez lui de dénouement heureux, et qu’il y a aussi une habileté de l’auteur à clore tout en réouvrant sur un champ de mines.

K.W: Dans ‘La Nuit des Rois’, je n’avais qu’un seul personnage pour jouer les rôles de Sébastien et Viola qui sont des jumeaux, fille et garçon. Et puis il y a la Comtesse et le Duc. L’homme devrait aimer la femme. Or, il est resté tout le temps avec le garçon dont il est amoureux, mais à la fin il va avec la femme, car il ne peut pas faire autrement. Et la Comtesse, qui est amoureuse de la jeune femme, doit aller avec l’homme.

Ce final peut paraître heureux, puisque chacun a ce qu’il veut. Mais à la base n’y a t’il pas ce désir du même sexe chez les deux personnages? La question reste ouverte, et c’est ce que Shakespeare nous donne à contempler. C’est donc très pervers comme happy end.

 

J.G : Vous avez dit, pour conclure, Krzysztof Warlikowski, que notre enthousiasme est shakespearien, en parlant de vous et de vos acteurs. On dit que pour jouer Claudel il faut parler Claudel, et l’on a un peu le sentiment que vous avez appris à parler Shakespeare.

K.W : Je crois qu’il y a chez moi et chez lui ce besoin de percevoir l’univers, de comprendre la nature humaine, de croire que le théâtre peut nous mener vers des réponses à tout l’univers, et non pas nous donner une partie de la réalité comme miroir que l’on représente sur le plateau, que le théâtre est le terrain où l’on se questionne et se requestionne le monde, et que c’est essentiel.

 

J.G : Et bien l’on parlera demain de ce théâtre comme lieu de partage, s’il est aussi un moyen de se connaître et de connaître le monde. Merci, Krzysztof Warlikowski.

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Rédigé par David

Publié dans #Warlikowski

Publié le 18 Juillet 2023

Du lundi 22 juin au vendredi 26 juin 2009, France Culture diffusait 5 entretiens de Krzysztof Warlikowski au moment où il mettait en scène à l’opéra Bastille ‘Le Roi Roger’ de Karol Szymanowski pour clôturer les 5 ans du mandat de Gerard Mortier.

Ces 5 entretiens, menés par Joelle Gayot en février 2009 pour l'émission 'A voix nue', s’intitulaient respectivement ‘Pologne, je te « haime »’, ‘ Shakespeare, père et mère de théâtre’, ‘Je est mon autre’, ‘La leçon d’anatomie’, et ‘Le visible et l’invisible’.

Ils sont indispensables pour qui souhaite comprendre la construction de la pensée de ce très grand metteur en scène de théâtre et d’opéras.

Le premier de ces 5 entretiens est intégralement retranscrit ci-dessous.

Krzysztof Warlikowski : Les Français - Francuzi (Théâtre Chaillot, 19 novembre 2016)

Krzysztof Warlikowski : Les Français - Francuzi (Théâtre Chaillot, 19 novembre 2016)

A Voix nue : Joelle Gayot s’entretient avec Krzysztof Warlikowski (diffusion sur France Culture, le lundi 22 juin 2009)
Pologne je te ‘haime’

J.G : Krzysztof Warlikowski, nous sommes dans votre appartement parisien, mais ce n’est pas à Paris que vous vivez.

Si vous êtes un grand voyageur, votre travail de metteur en scène vous mène un peu partout en Europe et aussi en Israël. 

La Pologne est votre pays natal, et c’est en Pologne qu’a démarré ce trajet artistique qui, aujourd’hui, vous place au premier plan sur la carte des metteurs en scène qui comptent. 
Vous êtes un metteur en scène de théâtre principalement, mais également d’opéras, et on vous a connu en France grâce au Festival d’Avignon que vous retrouvez d’ailleurs très régulièrement. 

On vous a découvert avec ’Hamlet’ de Shakespeare, puis on va a retrouvé avec Sarah Kane, avec un travail mémorable sur ‘Purifiés’, sont ensuite arrivés à Avignon, et ailleurs, ‘Le Songe d’une nuit d’été’, ‘Le Dibbouk’ d’après Shalom Anski et Hanna Krall, ‘Kroum l'ectoplasme’ d’Hanokh Levin, ‘Angels in America’ de Tony Kushner, et ajoutons à l’opéra ‘Iphigénie en Tauride’ de Gluck, ‘L’Affaire Makropoulos’ de Janáček, ‘Parsifal’ de Wagner.

Mais, reprenons les choses par le début, avec cette Pologne que vous semblez aimer tout autant qu’elle vous pose encore problème, cette Pologne qui vous construit, précisément parce qu’elle contient peut-être en elle tout ce qui pourrait vous détruire. Alors, première question, Krzysztof Warlikowski, vous êtes né quand et où?

K.W: A question concrète, réponse concrète. Je suis né en 1962 à Sczescin, une ville allemande avant la guerre qui est devenue polonaise après la guerre. Donc, je suis né à-peu-près 15 ans après la fin de la guerre, dans une ville qui, à ce moment là, n’appartenait à personne, car les Polonais n’étaient pas tellement sûrs de pouvoir conserver la ville longtemps.

 

J.G : Vous avez grandi dans cette ville, mais ensuite êtes-vous parti à Cracovie faire des études de théâtre ou plutôt des études de philosophie ?

K.W: Quand j’ai eu mon baccalauréat, je suis parti à Cracovie pour faire mes études de philosophie et d’histoire à l’université Jagellon. Je me suis alors rendu compte plus tard, lorsque j’ai débuté en tant que metteur en scène à Hambourg, que cette ville allemande et Sczescin avaient beaucoup de points en commun, c’est à dire qu’il s’agissait de villes totalement différentes d’une ville comme Cracovie qui a un passé polonais lourd d’histoire et de traditions.

 

J.G : A Cracovie vous vous lancez dans des études d’histoire et de philosophie, puis vous obtenez le diplôme de l’Académie de Théâtre.

K.W: Après mes études d’histoire et de philosophie, je suis parti pour Paris où je suis resté plusieurs années. J’ai donc vécu entre la capitale française et Cracovie un certain moment. Puis, je suis revenu définitivement à Cracovie afin de commencer, à l’âge de 29 ans, mes études théâtrales et de mise en scène à l’Académie de Théâtre.

Le Roi Roger - mise en scène Krzysztof Warlikowski (Opéra Bastille, 18 juin 2009)

Le Roi Roger - mise en scène Krzysztof Warlikowski (Opéra Bastille, 18 juin 2009)

J.G : Qu’est-ce qui fait qu’un jeune homme décide de venir à Paris pour poursuivre ses études ?

K.W: J’ai commencé mes études en 1981, année de grève à l’université, mais aussi de grève à Gdansk et Szczecin, année lourde d’évènements en Pologne. Puis, il y eut l’état de guerre, et donc je suis parti pour Paris. 
Après avoir vu ce qu’était la vie d’étudiant à Cracovie, c’est la curiosité qui m’a poussé à aller plus loin, à un moment où l’on n’était pas trop conditionné par la situation extérieure pour faire des études qui vous donnent une profession ou un métier qui vous placent dans la société. 
Paris était juste une ouverture et une aventure d’apprentissage dans ma recherche qui me mène ailleurs.

 

J.G : Rien qu’à vous écouter parler, Krzysztof Warlikowski, on sent que votre engagement dans cette vie parisienne, quand vous étiez étudiant, a été extrême, parce que lorsque l’on entend la façon dont vous parlez le français, on se dit qu’il y a une pleine adhésion de votre personne à ce pays.

K.W: En effet, lorsque j’étais en Pologne, il m’arrivait d’aller faire du ski, et quand je prenais le téléphérique, j’en profitais pour répéter les conjugaisons latines et grecques. Puis, quand j’étais en refuge, j’apprenais des passages de Proust, au point que je connaissais des pages entières par cœur. C’était donc des moments un peu bizarres.

 

J.G : D’ailleurs, comment expliquez-vous cette très belle façon que vous avez eu de vous immerger dans la langue française? Est-ce la structure de cette langue que vous aimez?

K.W : Quand on revient sur ce qui est polonais, même si Sczescin ne ressemblait en rien à ce qu’est la Pologne, ce dont je ne me rendais pas encore compte, je recherchais mon identité et donc détestais ma ville qui me plaçait nulle part.
Et à partir du moment où je me suis confronté à Cracovie, j’ai vu une ville bourgeoise avec des jeunes de mon âge, et j'ai constaté que mes amis de la faculté avaient une autre culture que moi.

Or, j’étais du côté de Witold Gombrowicz qui s’était installé à l’étranger après la guerre, et qui, bien avant la guerre, était désespérément en recherche de la signification de l’identité polonaise, puisqu’on refusait de le reconnaître comme Polonais. 

J’étais en recherche de ce qui pouvait être ma base, et je n’avais pas conscience à cette époque que c’était dans ce refus d’appartenir à quoi que ce soit que se trouvait la source de moi même.
Je voulais ainsi échapper à tout ce qui pouvait me définir. Je ne pouvais pas me définir en tant que Polonais, et le 1er novembre, jour important pour les Polonais qui vont tous au cimetière, je souffrais de n’avoir pas de tombe où allumer des chandelles. Car à Sczescin, terre allemande, les tombeaux étaient allemands.

Mais à Cracovie, où je pouvais dire que j’étais au cœur de la culture polonaise, je ne pouvais pas m’identifier non plus, car les gens avaient leurs familles, leurs racines, qui les définissaient dans cette société polonaise, et donc tout restait à trouver. Et en cherchant, je me suis rendu compte que c’est dans le refus de ces identités qui me tombaient dessus que je pouvais peut-être identifier le vrai ‘Moi’.

Kabaret warszawski : Krzysztof Warlikowski, Maciej Stuhr et Wojciech Kalarus (Théâtre Chaillot, 12 février 2014)

Kabaret warszawski : Krzysztof Warlikowski, Maciej Stuhr et Wojciech Kalarus (Théâtre Chaillot, 12 février 2014)

J.G : Et quand vous êtes à Varsovie, Krzysztof Warlikowski, vous dites que vous avez le sentiment de vivre dans un cimetière.

K.W : C’était une expérience existentielle, comparable à celle de Sczescin, existentielle dans le sens où l’on se trouve nulle part. Autour de moi, il n’y avait que des exilés, des Allemands, des Juifs, des Polonais de l’Est, un assemblage de cultures qui forment un monde de cultures qui ne pouvaient pas se mélanger. Et Varsovie, après la guerre, était aussi une ville complètement détruite, la population également, parce que les juifs, qui en composaient un tiers, n’étaient plus là, et aussi parce que toute l’intelligentsia avait disparu, plus tard, dans l’insurrection de Varsovie. 

Donc, on semblait être les ‘Nouveaux’, là-bas, au point que l’on avait imaginé déménager la capitale à Łódź en 1945, ou bien construire une ville à côté où la vie serait plus facile.

De toute façon, je me suis rendu à Varsovie à l’époque de la chute du mur de Berlin où il y avait des Polonais qui venaient de partout avec une nouvelle énergie pour se mettre à travailler et former ce nouveau pays qui existe depuis 16 ou 17 ans. Et moi, j’étais l’un d’eux.

Nous étions tous nouveaux, et nous arrivions, métaphoriquement, dans un cimetière, puisque cette ville n’existait plus et que nous allions la reconstruire, et donc le point de départ était le même pour tout le monde. Ce n’était donc pas la même situation qu’à Cracovie, ville bourgeoise très catholique, intelligentsia depuis la guerre, bastion de quelque chose où je ne voulais pas vraiment rentrer.

 

J.G : De quelle manière le théâtre est-il venu à un moment donné se superposer, un peu comme une deuxième terre, à cette terre qu’était la Pologne, Krzysztof Warlikowski?

K.W : J’ai commencé mes études avec l’intention d’un apprentissage assez vague, pas mature. J’avais 18 ans, je lisais Eisler, je partais en voyage pour apprendre ce qu’était l’univers, j’errais quelque part entre philosophie et religion, si bien que j’avais même envisagé de me mettre en retrait de la vie pour, peut-être, devenir moine. En fait, je ne savais pas exactement ce qui allait arriver.

Le théâtre est arrivé au moment où toutes ces options universitaires ou religieuses se sont épuisées, lorsque j’ai compris que je n’étais pas scientifique, que je n’étais bien nulle part, et que je n’étais pas bien en Pologne ou à Paris. 

Le Théâtre est d’abord venu comme la continuation de cet apprentissage. Il y avait cette recherche et cette curiosité de me comprendre, de toujours comprendre l’univers, avec les mêmes questions qui allaient dorénavant passer par ce nouveau moyen. Mais je ne savais pas comment cela allait se passer, ni si c’était exactement ce que je cherchais.
J’ai donc commencé avec cette école de théâtre, et les quatre années qui suivirent allaient m’apporter la réponse.

Ce fut un moment tragique quand je suis sorti de cette école. C’était une sorte de fatum, car si je ne continuais pas, cela signifiait que je n’étais pas assez bon, et donc que je devais renoncer et passer à une vie civile, vie civile qui serait une déception. Or, je ne pouvais pas revenir à cette vie civile que j’avais déjà exploré, et où je n’avais pas trouvé de place pour moi.

Mais il y avait la question du talent, de savoir si j’avais des choses à dire. C’est ainsi que le théâtre a commencé, comme un moyen de comprendre l’univers.

Krzysztof Warlikowski et Maja Ostaszewska - L’Odyssée. Scénario pour Hollywood (La Comédie de Clermont Ferrand, 17 mars 2022)

Krzysztof Warlikowski et Maja Ostaszewska - L’Odyssée. Scénario pour Hollywood (La Comédie de Clermont Ferrand, 17 mars 2022)

J.G : A quel moment avez-vous croisé cette grande figure qu’est Krystian Lupa, puisqu’il a été important pour votre formation ? A-t-il été déterminant, Krzysztof Warlikowski?

K.W : Cela s’est passé à l’école où il enseignait. C’était peut-être le seul homme suffisamment ouvert pour me séduire, le seul personnage dans cette école qui ouvrait les horizons, sinon il ne s’agissait que d’une école spécialisée comme les autres.

Pour moi, c’était un retour à mes racines, un retour à moi-même. J’ai découvert, en commençant les études de théâtre, autre chose que le théâtre. Le théâtre n’était pas aussi important au départ. C’était plutôt moi et mon langage qui comptaient, et j’ai d’ailleurs découvert que je parlais avec un langage très artificiel, avec des notions se situant entre ‘Journal télévisé’ et ‘Conférence d’Université’.

J’ai alors commencé à revenir à ma façon de parler lorsque j’étais à Sczescin, avec un langage simple, direct, car pour travailler avec les comédiens il fallait revenir à soi-même pour être soi-même face à eux. Il était donc important d’être ‘moi’ et de comprendre ce que l’on me dit, plutôt que d’être un théoricien qui multiplie des théories. 

C’est donc la première chose et la bonne chose que j’ai reçu à l’école.

Ensuite, est arrivée la rencontre avec quelqu’un comme Krystian Lupa, qui est un homme de théâtre sans l’être à 100%, car c’est plutôt un philosophe qui se pose, lui aussi, des questions sur la vie.

 

J.G : Y a t-il des points des communs qui relieraient ces hommes, Krystian Lupa, Peter Brook, Giorgio Strehler, qui ont été importants pour vous et dont vous avez aussi croisé la route à un moment donné, Krzysztof Warlikowski?

K.W : Entre Krystian Lupa et Peter Brook, c’était comme l’orient face à l’occident, la Pologne en tant que Pays de l’Est face à une culture rationaliste, qu’elle soit anglaise ou française.

D’un côté il y avait l’irrationnel de Lupa, de l’autre côté il y avait le milieu d’or, cette mesure qui est au milieu, qui n’est pas irrationnelle, où il y a la raison et l’exigence d’être compris, d’être audible, d’être suivi. Alors que dans la nature polonaise, il y a ce contact intuitif qui ne tient pas forcément compte de ce qui est rationnel. Je me trouvais probablement entre ces deux forces là.

Cette rencontre avec ces metteurs en scène reproduisait donc ce qui m’était arrivé dans ma vie auparavant, cette dichotomie entre ce qui est polonais et ce qui est français, par exemple.

 

J.G : En vous écoutant, je pense à une phrase de Rimbaud qui dit ‘J’ai tendu des cordes de clocher à clocher  et je danse’. Au fond, c’est un travail d’équilibriste.

K.W : Je ne sais pas si c’était ce que je cherchais, mais à un moment je me suis rendu compte que j’étais entre les deux.

 

J.G : C’est périlleux comme position,  Krzysztof Warlikowski, et c’est très instable d’être entre les deux.

K.W : C’est très instable, mais il y a un moment où il n’y a plus d‘autre option, car dès ma naissance je ne me sentais pas attaché à un endroit précis. A ce moment là, je vacille en les choses, et comme je suis du signe des ‘Gémeaux’, cela ne fait que le confirmer (sourire).

 

J.G : Au fond, on peut donc dire que la terre où votre place est la plus juste est une terre de mouvement, et c’est d’ailleurs plus une mer qu’une terre.

K.W : Vous pouvez dire aussi que cette place se trouve entre vie et théâtre car elle englobe ces deux situations.

Ewa Dalkowska et Krzysztof Warlikowski - (A)pollonia (Théâtre Chaillot, 08 novembre 2009)

Ewa Dalkowska et Krzysztof Warlikowski - (A)pollonia (Théâtre Chaillot, 08 novembre 2009)

J.G : Et quelle place a occupé Strehler que vous avez également rencontré? J’imagine que l’on ne croise pas quelqu’un comme Strehler comme on croise n’importe qui dans une vie artistique.

K.W : Il m’a appris à respecter ce qui est classique, et de voir le sens, la force, la beauté et la clarté dans ce qui est très classique. 

Pour quelqu’un de très jeune comme moi - j’exagère, je n’étais pas très jeune, j’avais plus de la trentaine lorsque je les ai rencontré, car je suis rentré dans le théâtre très tard -, qui est un jeune excentrique, égocentrique, qui cherche à trouver sa propre forme, ou qui cherche ce qu’il a à dire au public, et qui cherche en général ce rapport dans lequel le place ce théâtre face à ce public, qui a plein d’idées et plein de formes dans la tête qu’il avait vu pendant des années à Paris, ville où il a vu les plus grands films après avoir vu les plus grands films en Pologne, donc qui est très riche en références, rencontrer quelqu’un de très mature, qui a travaillé sa forme pendant trente ou quarante ans, et qui est arrivé à une simplicité qui dérange ce jeune qui cherche à s’exprimer de façon plus sophistiquée et plus enchevêtrée, pas claire, avec plein d’intuitions, il y a là une contradiction.

Je me confrontais à des contradictions avec Peter Brook ou Giorgio Strehler, car je ne pouvais pas comprendre cet envoûtement qu’il y avait autour des costumes d’époque de Strehler, je ne pouvais pas comprendre que le son de la matière de la robe faisait passer des frissons dans le dos du public, alors que je n’étais pas sensible à cela et que cela ne me touchait en rien.

Après avoir rencontré le théâtre un peu ésotérique de Krystian Lupa, et les domaines qu’il voulait toucher et ouvrir par rapport au théâtre qui se contentait de pièces aussi bien écrites, comme Goldoni ou Shakespeare, c’est de cette contradiction qu’apparaissait mon propre ‘Moi’ personnel à venir.

 

J.G : Shakespeare, on en parlera demain,  Krzysztof Warlikowski.

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Rédigé par David

Publié dans #Warlikowski

Publié le 15 Juillet 2023

Le Concert de Paris au Champ-de-Mars
Concert du 14 juillet 2023
Champ-de-Mars - Paris

Hector Berlioz – La Damnation de Faust : « Marche Hongroise » 
Giacomo Puccini Turandot : « Nessun dorma » [Francesco Demuro]
Edith Piaf : « La Vie en rose » [Pretty Yende]
Georges Bizet Carmen : « Habanera » [Stéphanie d’Oustrac]
Michel Legrand : « Les Moulins de Mon coeur» [Maîtrise de Radio France]
Jules Massenet Thaïs : « Voici donc la terrible cité » [Ludovic Tézier]
Edouard Lalo : « La Symphonie espagnole » [Vilde Frang]
Francesco Cilea Adriana Lecouvreur: « Io son l’umile ancella » [Ermonela Jaho]
Igor Stravinsky Petrouchka : « Danse russe » [Orchestre National de France]
George Gerschwin Porgy & Bess : « Summertime » [Marie-Laure Garnier]
Georg Friedrich Haendel – Le Messie – « Hallelujah » [Chœur de Radio France]
Grazyna Bacewicz : « Ouverture » [Orchestre National de France]
Sergueï Rachmaninov Rhapsodie sur un thème de Paganini : « Variation XVIII : Andante cantabile » [Daniil Trifonov]
Wolfgang Amadeus Mozart : « Ave Verum Corpus » [Maîtrise de Radio France]
Jules MassenetThaïs : « duo final » [Ludovic Tézier et Ermonela Jaho]
Camille Saint-Saëns Samson et Dalila : « Bacchanale » [Orchestre National de France]
Giuseppe Verdi Don Carlo : « Dio che nell'alma infondere » [Francesco Demuro et Ludovic Tézier]
Jacques Offenbach Les Contes d’Hoffmann : « Barcarolle » [Stéphanie d’Oustrac et Ermonela Jaho]
Ludwig von Beethoven Symphonie n°9 : « Final» [Orchestre et Chœur de Radio France]
Hector Berlioz / Claude Joseph Rouget de Lisle La Marseillaise (couplets n°1 et 2)

Avec Ermonela Jaho, soprano, Marie-Laure Garnier, soprano, Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano, Francesco Demuro, ténor, Pretty Yende, soprano, Ludovic Tézier, baryton, Vilde Frang, violon, Daniil Trifonov, piano                     

Direction musicale Cristian Măcelaru
Chœur et Maîtrise de Radio France
Orchestre National de France

Initié en 2013 par Bertrand Delanoë, pour sa dernière année en tant que maire de la ville de Paris, le Concert de Paris célèbre en 2023 ses dix ans, et propose un programme de deux heures au cours duquel seront interprétées une vingtaine de pièces lyriques, instrumentales et chorales par six chanteurs lyriques, deux solistes, le Chœur et la Maîtrise de Radio France, tous portés par l’Orchestre national de France sous la direction de Cristian Măcelaru.

Stéphane Bern, Ermonela Jaho et Marie-Laure Garnier

Stéphane Bern, Ermonela Jaho et Marie-Laure Garnier

Et comme chaque année, le concert s’ouvre par la ‘Marche hongroise’, pièce entraînante extraite de l’ouverture de ‘La Damnation de Faust’ d’Hector Berlioz, un opéra créé le 06 décembre 1846  à la seconde salle Favart de l’Opéra Comique de Paris, et qui résonne en ce 14 juillet parisien avec le défilé militaire, ainsi que par son thème popularisé en 1966 par le film de Gerard Oury, ‘La Grande Vadrouille’

La grande scène de répétition au Palais Garnier où Louis de Funès incarnait le chef d’orchestre (imaginaire) Stanislas Lefort, est, en effet, restée inoubliable dans toutes les mémoires.

Marie-Laure Garnier chantant La Marseillaise

Marie-Laure Garnier chantant La Marseillaise

Ce soir, et en avant concert, le jeune pianiste sud-coréen Hyuk Lee, lauréat du concours international Long-Thibault 2022, se produit seul sur la scène du concert pendant 20 minutes.

Puis, Stéphane Bern, accompagné d’Ermonela Jaho et de Marie-Laure Garnier, lauréate du concours Voix des Outre-Mer 2019, présente le concert rediffusé en direct sur France Télévisions.

Des centaines de milliers de personnes venues seules, en famille ou entre amis, sont installées depuis des heures sur les pelouses du Champ-de-Mars, ce qui rend ce rendez-vous très intéressant afin de vivre la manière dont tout le monde va partager ces moments de musique classique joués en direct.

Il faut toutefois savoir que, contrairement aux téléspectateurs, le public présent n’entend pas la présentation des différents airs.

Maîtrise de Radio France - Les Moulins de Mon cœur

Maîtrise de Radio France - Les Moulins de Mon cœur

Et c’est à Francesco Demuro, venu à Paris pour chanter le rôle de Roméo dans ‘Roméo et Juliette’ joué en ce moment à l’Opéra Bastille jusqu’au 15 juillet, de faire l’ouverture de la retransmission. 

Il apparaît en cette fin de saison comme un véritable sauveur, car pour ceux qui s’en rappellent, il était allé remplacer Jonas Kaufmann à Londres le 01 juillet dernier dans ‘Werther’, alors qu’il venait, la veille, de faire son entrée sur la scène Bastille.

Et à nouveau ce soir, il remplace au dernier moment le ténor allemand qui a du annuler pour raison de santé.

Francesco Demuro - Nessun dorma

Francesco Demuro - Nessun dorma

Seul air de Giacomo Puccini que nous entendrons au cours du spectacle, ‘Nessun dorma’ est interprété avec style et douceur et aussi beaucoup de clarté dans la voix, ce qui en fait un prince très humble et lumineux. 

Pretty Yende, qui est la Juliette du ténor italien à l’opéra Bastille, et elle aussi venue au dernier moment pour faire revivre l’immortelle ‘Vie en rose’ d’Edith Piaf avec beaucoup de charme. Elle se permet même de rajouter une splendide coda lyrique à la fin de la chanson.

Pretty Yende - La Vie en rose

Pretty Yende - La Vie en rose

En Carmen, Stéphanie d’Oustrac se fait énormément plaisir en dépeignant un relief coquin, dangereux et sophistiqué pour la plus célèbre héroïne d’opéra du monde, et Ludovic Tézier, accompagné par un Orchestre national de France particulièrement luxuriant à ce moment précis, déploie avec intensité la stature d’Athanaël avec un air qui raconte comment sa ville d’origine, Alexandrie, l’a perverti.

Puis, l’irrésistible glamour d’Ermonela Jaho, qu’elle ornemente par des mouvements du corps souples et fortement courbés, tout en faisant entendre un timbre d’un velours noir très émouvant, ennoblit Adriana Lecouvreur en en faisant un portrait de diva lyrique de très grande classe.

Stéphanie d'Oustrac et Ermonela Jaho - La Barcarolle

Stéphanie d'Oustrac et Ermonela Jaho - La Barcarolle

Et avec ‘Summertime’, et surtout la Marseillaise qu’elle interprétera avec une voix très chaude et profonde en fin de concert, Marie-Laure Garnier impose une ampleur et une attitude plus solennelle, tout en faisant partager à tous son amour pour l’art du gospel.

Ermonela Jaho, Stéphanie d’Oustrac, Ludovic Tézier et Francesco Demuro reviendront ensuite dans des duos de Massenet, Offenbach et Verdi, ce qui nous permettra de profiter des jeux interactifs entre les artistes où se mêlent charme, soutien et confrontation.

Ludovic Tézier et Ermonela Jaho - Duo final de Thaïs

Ludovic Tézier et Ermonela Jaho - Duo final de Thaïs

Parmi les passages purement orchestraux, une rareté de la compositrice polonaise Grazyna Bacewicz, ‘Ouverture’, est jouée avec une verve trépidante comme s’il s’agissait de raconter une action scénique qui défile sans qu’aucune respiration ne soit possible.

Mais c’est sur la ‘Bacchanale’ de ‘Samson et Dalila’, menée avec un allant enthousiasmant et une très belle coloration, que l’on verra des spectateurs se laisser entraîner par les cadences orientalisantes.

Très forte impression également pour la ‘Rhapsodie sur un thème de Paganini’ de Rachmaninov, éblouissante par l’esprit fusionnel qui lie Daniil Trifonov à Cristian Măcelaru et l’Orchestre national de France.

Quant à Vilde Frang, c’est toute l’élégance d’un geste déterminé qu’elle exprime dans la ‘Symphonie espagnole’  d’Edouard Lalo.

Cristian Măcelaru et l'Orchestre national de France

Cristian Măcelaru et l'Orchestre national de France

Chœur de Radio France à son meilleur dans la 'Symphonie n°9' de Beethoven, Maîtrise de Radio France douce et apaisante, la rencontre avec un public qui, majoritairement, est peu habitué au répertoire classique, laisse aussi entrevoir qu’il y a forcément une ou plusieurs pièces musicales qui toucheront chacun des auditeurs, tant les styles proposés sont différents.

Hyuk Lee, Daniil Trifonov, Vilde Frang, Pretty Yende, Marie-Laure Garnier, Francesco Demuro, Ermonela Jaho, Cristian Măcelaru, Stéphanie d'Oustrac et Ludovic Tézier

Hyuk Lee, Daniil Trifonov, Vilde Frang, Pretty Yende, Marie-Laure Garnier, Francesco Demuro, Ermonela Jaho, Cristian Măcelaru, Stéphanie d'Oustrac et Ludovic Tézier

Cette soirée est aussi l'occasion d’une prouesse technique qui se traduit par une qualité de restitution musicale très appréciable en extérieur, et aussi par une grande complexité des jeux d’éclairages, surtout en fin de concert, quand la nuit est tombée. Au final, ce sont 3 260 000 téléspectateurs qui se sont retrouvés sur France Télévisions.

Le grand feux d’artifice final fait ainsi l’effet d’une bouteille de champagne que l’on ouvre pour célébrer haut en couleur ce grand hommage vivant offert à la musique classique.

Feux d'artifice du 14 juillet 2023

Feux d'artifice du 14 juillet 2023

Il est possible de revoir le Concert de Paris 2023 (jusqu'au 13 avril 2024) sous le lien suivant : le Concert de Paris 2023.

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Publié le 9 Juillet 2023

L’art lyrique a connu en France une période prodigieusement foisonnante du milieu des années 1990 jusqu’au début de l’année 2020, avant que la vie culturelle ne soit fortement ébranlée par la pandémie mondiale que tout le monde a connu.

Que ce soit à Paris, avec la prise en main de l’opéra Bastille par Hugues Gall chargé de développer un nouveau répertoire - alors qu’en parallèle la capitale augmentait année après année son soutien au Théâtre du Châtelet sous les mandats de Stéphane Lissner et Jean-Pierre Brossmann -, ou en région où les opéras de Lyon, de Strasbourg, de Bordeaux, de Montpellier et de Nancy ont progressivement obtenus le label d’’Opéra national en région’ de 1996 à 2006, partout en France l’opéra va connaître un essor et un renouveau qui verra même apparaître de nouvelles maisons (Opéra de Massy en 1993) et de nouveaux festivals tels ceux de Sanxay ou bien Saint-Céré.

Ateliers de décors de l'Opéra Bastille

Ateliers de décors de l'Opéra Bastille

L’ouvrage dirigé par Hervé Lacombe ‘Histoire de l’opéra français – De la Belle Époque au monde globalisé’ (2022), retrace avec un sens du détail hors du commun cette évolution, si bien que l’article qui suit cherche uniquement à rendre compte, de façon très synthétique et visuelle, comment l’art lyrique est représenté aujourd’hui à travers chaque région de France.

Cette synthèse s’appuie uniquement sur les données recensées par le site de base de donnée international Operabase, qui comprend cependant quelques lacunes dont l’impact reste à la marge.

Faire ce bilan en 2023 est une façon de regarder le chemin parcouru, mais aussi de mettre en garde sur la trajectoire que va prendre dorénavant ce milieu artistique riche et fragile si les politiques publiques, étatiques et régionales, ne font pas le choix résolu de soutenir ces structures en période d’inflation, car il s’agit également de préserver un savoir faire artistique pointu acquis pas nombre de musiciens et chanteurs du territoire français, mais aussi de soutenir des qualités techniques uniques de fabricants de décors de costumes et d’accessoires qui font l’identité culturelle d’une nation.

45 maisons et festivals d’opéras en France sont ainsi considérés (voir tableau ci-dessous) sur la période 1996-2023, ce qui couvre deux fois plus de structures que celles analysées par la Réunion des Opéras de France dans leur dernier rapportObservation de l’Art Lyrique en France 2018-2020’ édité en 2022.

Une analyse de l’évolution de la programmation est également menée en identifiant deux sous-périodes, 1996-2007 et 2008-2023, un découpage pertinent surtout à Paris avec l’arrivée de Jean-Luc Choplin au Théâtre du Châtelet, qui va substituer, aux opérettes et opéras, des comédies musicales américaines, et avec l’arrivée de Jérôme Deschamps à la direction de l’Opéra Comique qui va substituer, aux opérettes programmées à outrance, le répertoire lyrique français historique de la salle Favart.

1. Les salles lyriques considérées

Le tableau ci-dessous récapitule les caractéristiques (nombre moyen de représentations par an et nombre de places proposées) des 45 salles et établissements à vocation lyrique pris en considération pour cette étude.

Région Théâtre ou Festival Soirées lyriques par an Capacité
Bretagne Opéra de Rennes 25 640
Normandie Théâtre de Caen 12 1070
Normandie Opéra de Rouen 20 1300
Hauts-de-France Opéra de Lille 25 1130
Hauts-de-France Atelier Lyrique de Tourcoing 8 210
Grand Est Opéra national du Rhin 65 1200
Grand Est Opéra national de Lorraine 30 1050
Grand Est Opéra de Metz 25 750
Grand Est Opéra de Reims 15 750
Bourgogne France Comté Opéra de Dijon 25 1375
Bourgogne France Comté Opéra-Théâtre de Besançon 10 1100
Bourgogne France Comté Festival de Beaune 6 830
Auvergne-Rhône-Alpes Opéra national de Lyon 65 1100
Auvergne-Rhône-Alpes Théâtre de l’Opérette de Lyon 8 1900
Auvergne-Rhône-Alpes Opéra de Saint-Étienne 15 1350
Auvergne-Rhône-Alpes Opéra de Clermont-Ferrand 10 600
Auvergne-Rhône-Alpes Opéra de Vichy 4 1480
Auvergne-Rhône-Alpes Festival d’Opérettes d’Aix-les-Bains 6 1300
Auvergne-Rhône-Alpes Festival d’Ambronay 2 1000
Provence-Alpes-Côte d’Azur Opéra de Marseille 30 1820
Provence-Alpes-Côte d’Azur Théâtre de l’Odéon de Marseille 8 800
Provence-Alpes-Côte d’Azur Opéra de Nice 25 1070
Provence-Alpes-Côte d’Azur Opéra de Toulon 20 1320
Provence-Alpes-Côte d’Azur Opéra d’Avignon 20 700
Provence-Alpes-Côte d’Azur Chorégies d’Orange 3 8300
Provence-Alpes-Côte d’Azur Festival d’Aix-en-Provence 35 1050
Occitanie Théâtre du Capitole de Toulouse 50 1150
Occitanie Opéra Orchestre national Montpellier 35 1000
Occitanie Festival lyrique de Lamalou-les-Bains 15 500
Occitanie Festival de Saint-Céré 12 500
Nouvelle-Aquitaine Opéra national de Bordeaux 40 1100
Nouvelle-Aquitaine Opéra de Limoges 10 1480
Nouvelle-Aquitaine Le Pin Galant de Mérignac 5 1400
Nouvelle-Aquitaine Festival de Sanxay 3 2500
Pays-de-Loire Angers-Nantes Opéra 35 750
Pays-de-Loire Opéra de Baugé 10 300
Centre Val de Loire Opéra de Tours 20 970
Île de France hors ONP Théâtre national de l’Opéra Comique 50 1200
Île de France hors ONP Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet 20 500
Île de France hors ONP Théâtre des Champs-Élysées 35 1900
Île de France hors ONP Théâtre du Châtelet 45 2040
Île de France hors ONP Philharmonie de Paris 7 2400
Île de France hors ONP Opéra Royal de Versailles 30 650
Île de France hors ONP Opéra de Massy 15 880
Opéra national de Paris Palais Garnier et Opéra Bastille 185 2500

Tableau 1 : Capacité moyenne et nombre de représentations moyen d’œuvres lyriques (concert ou scénique) par an pour 45 structures française entre 1996 et 2023.

2. L’offre de places de spectacles lyriques en France entre 1996 et 2023

Chaque année, 1,6 million de places de spectacles lyriques sont proposées en France. 
Dans ses deux salles principales, le Palais Garnier et l’Opéra Bastille, l’Opéra national de Paris en propose à lui seul 30% (et même 50% des places de spectacles chorégraphiques en France), et 17% supplémentaires sont apportés par les autres structures d’Île de France.

C’est donc près de 50% des places de spectacles lyriques en France qui sont proposées à 12 millions de franciliens et parisiens.

Avec Marseille, Toulon, Nice, Avignon, Orange et Aix-en-Provence, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est l’autre région très dense en propositions lyriques avec 13% de l’offre nationale, et ce sont les régions de Centre Val de Loire (Tours) et Bretagne (Rennes) qui ont l’offre la plus limitée (1% chacune de l’offre nationale), mais pas forcément la moins diversifiée comme nous le verrons plus loin.

La carte suivante rend compte de la volumétrie de l’offre lyrique par région, ainsi que de l’évolution entre 1996-2007 et 2008-2023.

Volumétrie de l’offre lyrique par région et évolution entre 1996-2007 et 2008-2023

Volumétrie de l’offre lyrique par région et évolution entre 1996-2007 et 2008-2023

On observe une légère baisse de l’offre dans 4 régions, Bourgogne Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Nouvelle Aquitaine, mais globalement, le nombre de représentations proposées en région reste de l’ordre de 750 soirées par an.

A Paris, le nombre de représentations lyriques est passé de 340 à 370 par an, progression qui est essentiellement due à la réouverture de l’Opéra de Versailles en 2009, l’inauguration de la Philharmonie en 2015, et l’intensification des comédies musicales au Théâtre du Châtelet.

3. La composition du répertoire lyrique en France selon les régions

Entre 1996 et 2023, plus de 1330 ouvrages lyriques de la période fin XVIe siècle à 2023 ont été joués en France, dont 300 interprétés pour un ou deux soirs seulement (‘Le Vin herbé’ de Frank Martin à l’Opéra de Lyon en 2008, par exemple).

Pour donner un premier aperçu général des opéras qui sont joués en France, il est possible de distinguer les catégories suivantes : les opérettes françaises (Offenbach, Lopez, Hervé, Lecoq, Audran, Varney, Messager, Ganne …), les opéras français (du baroque au contemporain), les opéras de Mozart, les opéras des compositeurs italiens du XIXe siècle (Verdi, Puccini, Donizetti, Rossini, Bellini etc.), les opéras de Richard Wagner, les œuvres baroques allemande, italienne et anglaise, et enfin le répertoire du XXe et XXIe siècle (hors français).

La carte ci-dessous représente de manière schématique et très visuelle la répartition de ce répertoire région par région, en distinguant la période 1996-2007 et 2008-2023.

Répartition et évolution du répertoire lyrique par régions de France sur les périodes 1996-2007 et 2008-2023

Répartition et évolution du répertoire lyrique par régions de France sur les périodes 1996-2007 et 2008-2023

L’opérette française est plus ou moins présente partout en France sauf à l’Opéra national de Paris, et elle se développe à l’ouest (Bretagne, Normandie, Pays de Loire, Centre Val de Loire, Nouvelle Aquitaine) où elle peut atteindre 15% des soirées lyriques.

Dans ce prolongement, l’opéra français (baroque inclus) représente entre 15% et 25% du répertoire des maisons lyriques françaises, et c’est en Bretagne qu’il est proportionnellement bien défendu, au même niveau qu’en Île de France depuis le retour de l’opéra français à l’Opéra Comique.

Le répertoire des compositeurs italiens du XIXe siècle est naturellement une valeur sûre pour plaire au plus grand nombre, et il peut représenter de 15% (Auvergne-Rhône-Alpes) à 40% de la programmation (Centre Val de Loire avant 2008). 

En Île de France, l’Opéra national de Paris est une immense machine à propager le romantisme italien où il représente plus du tiers de la programmation, surtout depuis le passage de Stéphane Lissner à la direction générale qui pouvait programmer jusqu’à 5 œuvres de Giuseppe Verdi par saison.

En revanche, en dehors de cette grande institution nationale, seuls l’opéra de Massy et le Théâtre des Champs-Élysées accueillent à bras ouverts les Italiens du XIXe siècle au sein de la première région de France.

Wolfgang Amadé Mozart est aussi bien présent sur tout le territoire (de 7 à 15% du répertoire avec un maximum atteint de 25% au Théâtre des Arts de Rouen au cours de la période 1996-2007), et seul l’Opéra national de Paris offre aux œuvres de Richard Wagner 6% de ses soirées (la scène de l’opéra Bastille s’y prêtant magnifiquement), alors qu’en province seulement 2% des représentations lui sont consacrées.

Pour les amateurs d’opéras baroques italien, allemand et anglais, les Hauts-de-France (avec l’opéra de Lille et l’Atelier lyrique de Tourcoing), la Normandie et la Bourgogne Franche-Comté (Festival de Beaune) sont les destinations à privilégier. 14 à 18% du répertoire leur est consacré, et même 19% à 25% si l’on y ajoute le répertoire baroque français (Lully, Campra, Rameau…).

A Paris, si l’Opéra n’accorde qu’une place réduite à ce répertoire, le Théâtre des Champs-Élysées lui consacre 25% de sa programmation, et même 30% en y ajoutant le baroque français.
Quant à l’Opéra Royal de Versailles, il lui dédie 60% de sa programmation, baroque français inclus.

Enfin, l’opéra du XXe siècle et les compositeurs contemporains (hors français) sont représentés de façon très diverses sur le territoire.

Ainsi, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur lui dédie 15% de sa programmation seulement, alors que l’Île de France, hors Opéra de Paris, le Grand-Est et Auvergne-Rhône-Alpes consacrent ces dernières années jusqu’à 30% de leurs soirées à ce répertoire, en y incluant les comédies musicales américaines.

A l’Opéra de Paris, cette représentativité est plutôt en baisse ces dernières années pour atteindre 15% de la programmation depuis 2008.

4. Evolution du nombre de représentations proposées ville par ville sur la période 1996-2023

Afin de donner un petit aperçu du répertoire de chaque institution, ce chapitre donne la tendance à la hausse où la baisse de la fréquence de représentation des opéras ville par ville, et liste pour chacune d’elle les œuvres de deux saisons séparées d'une vingtaine d'années. 

8 villes en région où l’art lyrique est en expansion
Rouen, Lille, Tourcoing, Clermont Ferrand, Lyon, Saint-Étienne, Angers-Nantes et Tours sont les villes où l’opéra a nettement progressé entre les années 2000 à 2020, passant de 160 représentations à 215 représentations par an pour cet ensemble de 8 villes. 

Bien que ne disposant d’aucun opéra national en région, la façade nord-ouest de la France défend très bien l’art lyrique ainsi que sa diffusion au sein de la population.

Quelques exemples de programmations à 20 ans d’intervalle sont présentés ci-dessous, bien que certaines de ces programmations ont été altérées en cours de saison à cause de l’augmentation des coûts de fonctionnement dus à la crise énergétique.

Rétrospective sur l'offre et le répertoire de l'Art Lyrique en France de 1996 à 2023

15 villes ou institutions en région où l’art lyrique est en contraction
Metz, Beaune, Besançon, Dijon, les théâtres d’opérettes d’Aix-les-Bains et de Lyon et de Lamalou-les-Bains, Avignon, Nice, Les Chorégies d’Orange, Toulon, Montpellier, le Festival de Saint-Céré,  Bordeaux, Mérignac, sont les villes où l’opéra et l’opérette sont en phase de contraction entre les années 2000 à 2020, passant de 300 représentations à 225 représentations par an pour cet ensemble de 15 villes. Elles sont quasiment toutes situées dans le Sud de la France.

Quelques exemples de programmations à 20 ans d’intervalle sont présentés ci-dessous.

Rétrospective sur l'offre et le répertoire de l'Art Lyrique en France de 1996 à 2023

13 villes ou institutions où l’offre se maintient
Enfin, un groupe de 13 villes et institutions, Rennes, Caen, Reims, Nancy, l’Opéra du Rhin (Strasbourg, Mulhouse et Colmar), Ambronay, Vichy, le Festival d’Aix-en-Provence, Marseille, Toulouse, Limoges et les festivals de Baugé et Sanxay, reste globalement constant dans sa diversité de programmation, et porte 270 représentations d’opéras par an. 

Quelques exemples de programmations à 20 ans d’intervalle sont présentés ci-dessous.

Rétrospective sur l'offre et le répertoire de l'Art Lyrique en France de 1996 à 2023

Et en Ile de France?
La situation au sein de la capitale (Opéra de Paris, Théâtre des Champs-Élysées, Théâtre du Châtelet, Opéra Comique, Théâtre de l’Athénée …) et en Île de France (Versailles et Massy) a toujours été florissante tout au long de la période 2000-2020, avec même de nouveaux établissements tels la Philharmonie et l’Opéra Royal de Versailles qui contribuent à augmenter l’offre lyrique. 

Au cours de cette période le nombre de soirées est ainsi passé de 150 à 185 par an (hors Opéra de Paris), nombre qui est doublé si on y ajoute les 185 soirées lyriques de l’Opéra de Paris.

Seul l’Opéra Comique a réduit son nombre de représentations lorsqu’il a arrêté de représenter à la chaine plus de 50 soirées de ‘La vie parisienne’ ou de ‘La Périchole’ par an, pour se concentrer avec profondeur sur le répertoire française lyrique ou la création, alors qu’à l’inverse le Théâtre du Châtelet a abandonné sa programmation lyrique pour les comédies musicales américaines avant de traverser un passage à vide dont on entrevoit cependant l’issue depuis la nomination d’Olivier Py à sa direction.

Quant à l’Opéra de Paris, si la diversité des œuvres lyriques s’estompe un peu, la durée des séries augmente de façon à maintenir le même nombre de représentations.

Quelques exemples de programmations à 20 ans d’intervalle sont présentés ci-dessous.

Rétrospective sur l'offre et le répertoire de l'Art Lyrique en France de 1996 à 2023
Rétrospective sur l'offre et le répertoire de l'Art Lyrique en France de 1996 à 2023

5. La création contemporaine

La vitalité de la création contemporaine est très importante pour le genre lyrique, car c’est ce qui lui permet de ne pas s’enkyster dans l’image d’un art du passé. D’ailleurs, elle intéresse souvent les publics les plus novices en quête de sujets qui parlent à leur imaginaire d’aujourd’hui.

Pour en rendre compte, ce chapitre fait l’état des lieux des œuvres créées en France et dans le monde au cours de la période 1990-2023 et qui ont été jouées sur notre territoire. On compte ainsi pas moins de 336 ouvrages contemporains, dont 271 ont été joués en région, 81 en Île de France hors Opéra de Paris, et 21 à l’Opéra de Paris. Dans tous les cas, 40% des créations lyriques proviennent de compositeurs français.

Et si en Île de France la moitié des créations jouées l'ont été en région, 90% des œuvres contemporaines jouées à l’Opéra de Paris n'ont pas été représentées ailleurs en France.

La création lyrique en région
Les régions sont donc le premier vecteur de la diffusion des œuvres contemporaines, et l’on observe des variations entre les Hauts-de France, les Pays-de-Loire et le Grand-Est où ce répertoire représente de 9 à 10% des soirées (ce qui est considérable!), et le Centre Val de Loire, la Nouvelle Aquitaine, l’Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur où il ne représente que 4 à 5% des soirées.

Un constat s’impose : le sud de la France accorde deux fois moins de place à la création contemporaine que le nord de la France.

Ci dessous, sont listées les œuvres contemporaines jouées pour au moins une dizaine de soirées en région.

Les principales créations lyriques contemporaines jouées en région de 1996 à 2023

Les principales créations lyriques contemporaines jouées en région de 1996 à 2023

L’Ombre de Venceslao’, composé par Martin Matalon sur un livret de Jorge Lavelli, fut créé en 2016 à l’Opéra de Rennes et a ensuite circulé sur le territoire jusqu’au Chili et en Argentine. Il s’agit du plus grand succès en région qui, pourtant, n’a toujours pas été joué en Île de France.

Avec au moins cinq opéras créés en France, Isabelle Aboulker est une compositrice prolixe qui a à cœur de toucher la jeunesse. Son opéra pour enfant ‘Jérémy Fischer’, d’après la pièce de Mohamed Rouabhi, a été créé à l’opéra de Lyon en 2007 et été repris avec succès.

D’autres ouvrages tels ‘Schneewittchen’ de Marius Felix Lange, un autre opéra pour enfant créé à Cologne en 2011, ‘Le balcon’ de Peter Eötvös (2002), ‘Les enfants terribles’ de Philip Glass (1996), et bien sûr les opéras de Philippe Boesmans (‘Julie’, ‘Pinocchio’, ‘Wintermärchen’, ‘Reigen’) ont aussi trouvé leur public.

La création lyrique en Île de France
En Île de France, hors Opéra de Paris, le répertoire contemporain représente 7% des soirées, ce qui le situe dans la moyenne nationale. 
Ci dessous sont listées les œuvres contemporaines jouées pour au moins cinq soirées dans la première région de France.

Les principales créations lyriques contemporaines jouées en Ile de France (hors ONP) de 1996 à 2023

Les principales créations lyriques contemporaines jouées en Ile de France (hors ONP) de 1996 à 2023

Les parisiens se souviennent de ‘Monkey Journey to the West’, un opéra pop de Damon Albarn, d’après un classique de la littérature chinoise, qui fut créé au Théâtre du Châtelet en début de mandat de Jean-Luc Choplin. Un peu auparavant, ce même théâtre avait accueilli l’un des chefs-d’œuvre de Kaija Saariaho créé à Salzbourg en 2000, ‘L’Amour de loin’, sur un livret d’Amin Maalouf.

Plus récemment, la création en 2019 à l’Opéra Comique de ‘L’Inondation’ de Francesco Filidei fut un tel succès qu’il y fut repris en 2023, en coproduction avec Rennes, Angers-Nantes, Caen et Limoges et l’aide du Ministère de la Culture.

A Paris, le Théâtre de l’Athénée a accueilli beaucoup de créations de Philip Glass, ‘Les Enfants terribles’, ‘In the penal colony’, de Thomas Adès (‘Powder her face’), de George Benjamin (‘Into the Little Hill’) ou de Michael Jarrell (‘Cassandra’). 

La création lyrique à l’Opéra de Paris
Grand théâtre de répertoire, l’Opéra de Paris ne consacre que 3% de ses soirées à la création contemporaine. Gerard Mortier a beaucoup contribué à l'élargissement des portes de l’institution à ces ouvrages, puisque 6 opéras sur les 21 présentés depuis 1996 l’ont été au cours de son mandat de seulement 5 ans.

Les spectacles aux frontières de l’opéra, du rock et du théâtre y ont trouvé leur place (‘The Temptation of Saint Anthony’ de Bernice Johnson Reagon, ‘Le Temps des Gitans’ de Stribor Kusturica), Philippe Fénelon a pu produire 3 opéras de 1998 à 2010 (‘Salammbô’, ‘Faust’, ‘La Cerisaie’), et ‘K’ de Philippe Manoury et ‘Yvonne, princesse de Bourgogne’ de Philippe Boemans sont les seules créations, avec ‘Salammbô’, a avoir été reprises.

Et alors que ‘Il Viaggio, Dante’ de Pascal Dusapin fera son entrée au Palais Garnier au cours de la saison 2024-2025, la question se pose de savoir si ‘Le Soulier de Satin’ de Marc-André Dalbavie, créé en 2021, reviendra sur les planches du plus bel opéra du monde.

Les créations lyriques jouées à l'Opéra national de Paris de 1996 à 2023

Les créations lyriques jouées à l'Opéra national de Paris de 1996 à 2023

6. Un vœux pour finir

Cette petite rétrospective mêlant synthèse et détails tente de rendre compte de la place du théâtre lyrique dans la vie culturelle française, et de son évolution au cours des 25 dernières années qui a constitué une période très riche portée par un élan sans entrave. Le rôle des régions dans la diffusion des œuvres contemporaines est clairement visible.

Cet art ne peut cependant exister sans une volonté politique forte, seule apte à accorder un soutien stable, sous forme de subventions aux institutions françaises.

Représentant en France un budget de l’ordre de 600 millions d’euros (danse et concerts compris) dont 375 millions proviennent de subventions publiques (avec une disparité entre l’Opéra de Paris subventionné à 45% seulement, et les opéras en région subventionnés en moyenne à 78%), les institutions lyriques doivent dorénavant composer avec un paysage politique de moins en moins favorable (voir les exemples malheureux de Lyon ou Bordeaux), une image parfois kitsch entretenue par quelques passionnés d’un autre temps, et une image élitiste qui s’estompe cependant petit à petit par une volonté de casser les codes en salle et sur scène.

Le mécénat prend toute sa place dans leur modèle économique, mais étant plus volatile, il peut rendre les maisons d’opéras fragiles s’il se retire en cas de crise économique. Toutes ne bénéficient pas du soutien aussi indéfectible que celui accordé par la ville de Toulouse à son Théâtre du capitole, dont le budget est couvert à 90% par les subventions, ce qui le met à l’abri des vicissitudes économiques.

Vivre avec son temps est donc une priorité afin de renouveler le public, mais si l’on prend en considération que les 375 millions d’euros de subventions publiques aux théâtres lyriques et chorégraphiques ne représentent que 3,5% des 11 milliards d’euros d’aides au secteur culturel (4 milliards provenant de l’État et 7 milliards provenant des régions), on peut poser la question des conditions qui permettraient de revoir à la hausse cette participation.

Alors, en s’engageant pour plus d’innovations dans les programmes, pour plus de créations, pour plus de coopérations, et pour une diffusion plus élargie sur le territoire, ne peut-on pas souhaiter voir les aides aux établissements à vocation lyrique représenter 4% du budget culturel français d’ici 4 ou 5 ans, ce qui, concrètement, reviendrait à réévaluer les subventions de fonctionnement annuelles de l’Opéra Comique et de l’Opéra de Paris de 10 millions d’euros supplémentaires dans leur ensemble, et de 12 millions d’euros en régions?

C’est bien le vœux que l'on peut formuler pour l’avenir.

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Publié le 6 Juillet 2023

Grisélidis (Jules Massenet – Opéra-Comique,
le 20 novembre 1901)
Version de concert du 04 juillet 2023
Théâtre des Champs-Elysées

Grisélidis Vannina Santoni
Alain Julien Dran
Le Marquis Thomas Dolié
Le Diable Tassis Christoyannis
Fiamina Antoinette Dennefeld
Bertrade Adèle Charvet
Le Prieur Thibault de Damas
Gondebaut Adrien Fournaison

Direction musicale Jean-Marie Zeitouni
Chœur et Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie

Avec 73 représentations au cours de la première partie du XXe siècle, ‘Grisélidis’ fait partie de ces œuvres de Jules Massenet créées à l’Opéra Comique qui connaitront un succès d’estime – il y aura également 8 représentations entre 1922 et 1923 à l’Opéra de Paris -.

Thomas Dolié (Le Marquis) et Vannina Santoni (Grisélidis)

Thomas Dolié (Le Marquis) et Vannina Santoni (Grisélidis)

L’œuvre, basée sur la pièce d'Armand Silvestre et d'Eugène Morand ‘Le Mystère de Grisélidis’ créée à la Comédie-Française le 15 mai 1891, est d’abord un témoignage de la longue amitié entre Jules Massenet et le poète Armand Silvestre, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, qui écrivit nombre de poèmes pour les mélodies du compositeur.

Achevée fin 1894, 'Grisélidis' sera cependant mise en veille au profit de trois autres ouvrages de Massenet,  ‘La Navarraise’ (03 octobre 1895), ‘Sapho’ (24 novembre 1897) et ‘Cendrillon’ (24 mai 1899), si bien qu’après un profond remaniement, elle verra finalement le jour le 20 novembre 1901.

Julien Dran (Alain)

Julien Dran (Alain)

Ce conte lyrique est tiré d’un célèbre thème médiéval littéraire qui est une ode à la patience d’une pauvre bergère vivant à Saluzzo, une cité située au sud de Turin, qui dut endurer les pires épreuves, dont l’enlèvement de ses enfants, pour prouver sa fidélité à son mari, un riche marquis de la région.

L’opéra baroque et l'opéra classique italiens se sont emparés de ce sujet par le passé à de multiples reprises, à travers les versions de ‘Griselda’ composées par Antonio Maria Bononcini, Alessandro Scarlatti, Pietro Torri, Giovanni Bononcini, Francesco Bartolomeo Conti, Antonio Vivaldi ou bien Niccolo Piccini, si bien que l’on peut voir à travers ‘Grisélidis’ une résurgence directe d’un thème tant privilégié au XVIIIe siècle.

Thibault de Damas (Le Prieur) et Adrien Fournaison (Gondebaut)

Thibault de Damas (Le Prieur) et Adrien Fournaison (Gondebaut)

Pour la très large majorité du public venu ce soir au Théâtre des Champs-Elysées, il s’agit donc d’une découverte, et probablement peu de visages habituels du microcosme lyrique parisien sont absents.

L’art musical de Jules Massenet s’apprécie immédiatement par sa façon de faire vivre des ondes orchestrales avec beaucoup de souplesse et de délicatesse, tout en laissant se délier des lignes mélodiques bucoliques auxquelles s‘allient des ensembles de chœurs – excellente finesse du Chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie ! -  qui exaltent la foi chrétienne.

Tassis Christoyannis (Le Diable) et Adèle Charvet (Bertrade)

Tassis Christoyannis (Le Diable) et Adèle Charvet (Bertrade)

Jean-Marie Zeitouni donne du corps à la musique et entraine l’Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie dans un discours dramatique très appuyé et un style qui évite de trop fondre couleurs et matières.  L’oreille ne peut cependant s’empêcher de ressentir des modulations musicales et des chatoiements balbutiants qui seront plus tard magnifiquement développés avec majesté par Richard Strauss dans ses grands opéras tels ‘Die Frau ohne Schatten’.

Mais il est également assez déroutant de basculer de ce continuum sonore encore un peu âpre à une légèreté très vivante lorsque le Diable apparait. Tassis Christoyannis lui donne une jovialité mais également une très agréable subtilité expressive qui démultiplient les accents aux intentions ludiques.

Antoinette Dennefeld (Fiamina)

Antoinette Dennefeld (Fiamina)

A l’opposé, Thomas Dolié crée un portrait du Marquis vif et très torturé qui trouve auprès de lui une figure de la femme parfaite que Vannina Santoni tient haut la main avec une fière impassibilité. Grisélidis est surtout pour elle un personnage qui lui permet de canaliser ses grandes qualités de coloration, et de surmonter les tensions des lignes de chant pour leur donner une ornementation radieuse et éloquente.

Et à travers Bertrade, la suivante de Grisélidis, Adèle Charvet offre un beau portrait empreint de chaleur humaine et de plénitude veloutée qui vient plaisamment contrebalancer cet univers de tension constante.

Jean-Marie Zeitouni et Vannina Santoni

Jean-Marie Zeitouni et Vannina Santoni

Cette tension, justement, se retrouve d’emblée chez le pauvre Alain que Julien Dran incarne avec tendresse et sens du dolorisme, donnant de son chant un brin forcé, mais focalisé avec précision, une image de dignité désespérée très touchante.

En Fiamina, la femme du Diable, Antoinette Dennefeld se régale à décliner les facettes les moins sympathiques d’une femme séductrice mais fortement manipulatrice, et Thibault de Damas, en Prieur, révèle une très grande présence et de la jeunesse d’esprit.

Enfin, dorénavant régulièrement distribué au Théâtre des Champs-Elysées, Adrien Fournaison dépeint Gondebaut avec prestance et une noirceur de velours d'une grande noblesse.

Tassis Christoyannis, Adrien Fournaison, Julien Dran et Thibault de Damas

Tassis Christoyannis, Adrien Fournaison, Julien Dran et Thibault de Damas

Succès certain pour cette unique soirée qui met en valeur une distribution de chanteurs tous très engagés à défendre une œuvre au thème, certes, daté, mais qui est portée par une musique douée d’une évidente faculté d’imprégnation.

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Publié le 30 Juin 2023

TV-Web Juillet-Août 2023 Lyrique et Musique

Chaînes publiques

Samedi 01 juillet 2023 sur France 4 à 21h10
Musiques en fête (Chorégies d'Orange)

Samedi 01 juillet 2023 sur France 4 à 23h50
Le Quatuor Arod : ménage à quatre

Dimanche 02 juillet 2023 sur France 3 à 00h20
I Capuleti e i Montecchi (Bellini) - Opéra national de Paris

Dimanche 02 juillet 2023 sur Arte à 18h55
Jessye Norman et Kathleen Battle

Dimanche 02 juillet 2023 sur Arte à 20h05
Joséphine Baker - Première icône noire

Lundi 03 juillet 2023 sur Arte à 01h20
Festival du château de Ludwigsbourg 2022

Samedi 08 juillet 2023 sur France 4 à 21h10
Samson et Dalila (Saint-Saëns) - Chorégies d'Orange 2021

Dimanche 09 juillet 2023 sur France 3 à 00h20
Mythologies : Angelin Preljocaj, Thomas Bangalter

Dimanche 09 juillet 2023 sur France 5 à 14h30
Carmina Burana (Orff) - Chorégies d'Orange 2014

Dimanche 09 juillet 2023 sur Arte à 18h55
Alain Altinoglu dirige les "Tableaux d'une exposition"

Lundi 10 juillet 2023 sur Arte à 00h25
Daniel Hope sur la route du son d’Hollywood

Lundi 10 juillet 2023 sur Arte à 01h20
Royal Concertgebouw Orchestra - Concert d'ouverture 2022

Jeudi 13 juillet 2023 sur Arte à 23h40
Wozzeck (Berg) - Festival d'Aix-en-Provence 2023 - dm Rattle - ms Mc Burney

Vendredi 14 juillet 2023 sur France 2 à 21h10
Le concert de Paris 2023
Jaho, Garnier, d’Oustrac, Pati, Tézier, Frang, Trifonov, Macelaru

Samedi 15 juillet 2023 sur France 4 à 21h10
Requiem de Verdi - Chorégies d'Orange 2016

Samedi 15 juillet 2023 sur France 4 à 22h40
Carmina Burana - Chorégies d'Orange 2014

Dimanche 16 juillet 2023 sur France 3 à 00h25
Samson et Dalila (Saint-Saëns) - Chorégies d'Orange 2021

Dimanche 16 juillet 2023 sur France 5 à 14h35
La symphonie des jeux vidéo aux Chorégies d'Orange

Dimanche 16 juillet 2023 sur Arte à 18h55
Montserrat Caballé chante Norma - le documentaire

Dimanche 16 juillet 2023 sur France 4 à 21h10
Miss Knife et ses soeurs - Miss Knife chante Olivier Py

Lundi 17 juillet 2023 sur Arte à 00h05
Le compositeur Paul Dessau

Lundi 17 juillet 2023 sur Arte à 01h00
Les sept péchés capitaux - Par la compagnie Gauthier Dance

Samedi 22 juillet 2023 sur France 4 à 21h10
Le concert de Paris 2023
Jaho, Garnier, d’Oustrac, Pati, Tézier, Frang, Trifonov, Macelaru

Samedi 22 juillet 2023 sur France 4 à 23h15
La symphonie des jeux vidéo aux Chorégies d'Orange

Dimanche 23 juillet 2023 sur Arte à 03h35
La Staatskapelle en tournée à Dresde

Dimanche 23 juillet 2023 sur France 5 à 14h35
Le Requiem de Verdi aux Chorégies d'Orange

Dimanche 23 juillet 2023 sur Arte à 18h55
Anna Netrebko & Rolando Villazon chantent "La Traviata"

Lundi 24 juillet 2023 sur Arte à 00h05
Berlin Alexanderplatz - Du roman à l'opéra

Lundi 24 juillet 2023 sur Arte à 00h55
Young Euro Classic 2022 - Moments choisis

Vendredi 28 juillet 2023 sur France 5 à 21h00
Carmen (Bizet) - Chorégies d'Orange 2023 - dm Cafiero - ms Grinda

Samedi 29 juillet 2023 sur Arte à 20h50
Un Opéra pour un Empire (Documentaire)

Samedi 29 juillet 2023 sur Arte à 22h20
Macbeth (Verdi) - Festival de Salzburg - dm Philippe Jordan - ms Krzysztof Warlikowski

Dimanche 30 juillet 2023 sur France 5 à 14h30
L'Elixir d'Amour (Donizetti) - Chorégies d'Orange

Dimanche 30 juillet 2023 sur Arte à 18h55
Karajan au Festival de Salzbourg 1960

Lundi 31 juillet 2023 sur Arte à 00h35
L'Or du Rhin (Wagner) - Staatsoper Berlin - dm Thielemann - ms Tcherniakov

Mercredi 02 août 2023 sur Arte à 09h25
Un Opéra pour un Empire (Documentaire)

Vendredi 04 août 2023 sur Arte à 22h30
Dalida et Orlando, les âmes 
sœurs

Vendredi 04 août 2023 sur Arte à 23h35
Dalida - Ses plus grands tubes en quatre 
décennies

Samedi 05 août 2023 sur France 4 à 22h00
L'Elixir d'Amour (Donizetti) - Chorégies d'Orange

Dimanche 06 août 2023 sur Arte à 19h00
Daniel Barenboim dirige le West-Eastern Divan Orchestra (Festival de Salzburg 2020)

Lundi 07 août 2023 sur Arte à 00h40
La Walkyrie (Wagner) - Staatsoper Berlin - dm Thielemann - ms Tcherniakov

Vendredi 11 août 2023 sur Arte à 15h20
Un Opéra pour un Empire (Documentaire)

Samedi 12 août 2023 sur France 4 à 21h10
Carmen (Bizet) - Chorégies d'Orange 2023

Samedi 12 août 2023 sur France 4 à 23h50
La Bohème (Puccini) - Opéra de Paris - dm Dudamel - ms Guth

Dimanche 13 août 2023 sur France 5 à 14h35
Les Noces de Figaro (Mozart) - Opéra de Paris - dm Dudamel - ms Jones

Dimanche 13 août 2023 sur Arte à 19h00
David Garrett en concert

Lundi 14 août 2023 sur Arte à 00h45
Siegfried (Wagner) - Staatsoper Berlin - dm Thielemann - ms Tcherniakov

Mercredi 16 août 2023 sur Arte à 01h25
Cosi fan tutte (Mozart) - Salzbourg 2020 - dm Mallwitz - ms Loy

Samedi 19 août 2023 sur France 4 à 21h10
Rusalka (Dvorak) - Opéra de Limoges

Samedi 19 août 2023 sur France 4 à 23h10
Festival de Sablé-sur-Sarthes

Dimanche 20 août 2023 sur France 3 à 00h25
La Bohème (Puccini) - Opéra de Paris - dm Dudamel - ms Guth

Dimanche 20 août 2023 sur France 5 à 14h30
Les clefs de l'orchestre de Jean-François Zygel

Dimanche 20 août 2023 sur Arte à 18h55
Beethoven par Herbert Blomstedt et Martha Argerich

Lundi 21 août 2023 sur Arte à 00h45
Le Crépuscule des Dieux (Wagner) - Staatsoper Berlin - dm Thielemann - ms Tcherniakov

Dimanche 27 août 2023 sur France 3 à 00h15
Carmen (Bizet) - Chorégies d'Orange 2023

Dimanche 27 août 2023 sur Arte à 18h45
Un voyage en Égypte - Fatma Said en concert

Dimanche 27 août 2023 sur Arte à 20h05
Dalida et Orlando, les âmes 
sœurs

Lundi 28 août 2023 sur Arte à 01h25
Víkingur Olafsson interprète Edvard Grieg

TV-Web Juillet-Août 2023 Lyrique et Musique

Mezzo et Mezzo HD

Samedi 01 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
'Jenufa' de Janacek au Staatsoper Berlin

Dimanche 02 juillet 2023 sur Mezzo HD à 21h
Ariane à Naxos de Richard Strauss au Festival d'Aix-en-Provence

Mercredi 05 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
'La Femme sans ombre' de Strauss à Baden-Baden

Vendredi 07 juillet 2023 sur Mezzo HD à 22h
'Daphne' de Strauss au Staatsoper de Berlin

Samedi 08 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
'Eugène Onéguine' de Tchaïkovski à la Monnaie de Bruxelles

Dimanche 09 juillet 2023 sur Mezzo HD à 21h
Tosca de Puccini au Festival d'Aix-en-Provence

Mardi 11 juillet 2023 sur Mezzo à 22h05
'Nixon in China' de John Adams à l'Opéra de Paris

Mercredi 12 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
'Iphigénie en Aulide' de Gluck au Théâtre des Champs-Elysées de Paris

Vendredi 14 juillet 2023 sur Mezzo HD à 23h
'Falstaff' de Verdi au Festival d'Aix-en-Provence

Samedi 15 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
Jonas Kaufmann chante 'Werther' de Massenet à l'Opéra de Paris

Dimanche 16 juillet 2023 sur Mezzo HD à 21h
'Le Nez' de Chostakovitch à la Monnaie de Bruxelles

Mardi 18 juillet 2023 sur Mezzo à 22h30
Eugène Onéguine de Tchaikovsky à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège

Mercredi 19 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
Mignon d'Ambroise Thomas à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège

Vendredi 21 juillet 2023 sur Mezzo HD à 21h
La Flûte enchantée de Mozart au Festival de Glyndebourne

Samedi 22 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
Le Chevalier à la rose de Richard Strauss

Dimanche 23 juillet 2023 sur Mezzo HD à 21h
La Flûte enchantée de Mozart au Festival de Glyndebourne

Mardi 25 juillet 2023 sur Mezzo à 22h00
'La Femme sans ombre' de Strauss à Baden-Baden

Mercredi 26 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
Aïda de Verdi au Grand Théâtre de Genève

Jeudi 27 juillet 2023 sur Mezzo HD à 18h00
'Le Nozze di Figaro' de Mozart au Festival de Salzbourg

Vendredi 28 juillet 2023 sur Mezzo HD à 21h
'Madama Butterfly' de Puccini à Athènes

Samedi 29 juillet 2023 sur Mezzo à 20h30
'Falstaff' de Verdi au Festival d'Aix-en-Provence

Dimanche 30 juillet 2023 sur Mezzo HD à 21h
La Flûte enchantée de Mozart à Salzbourg

Mardi 01 août 2023 sur Mezzo à 23h
'Iphigénie en Aulide' de Gluck au Théâtre des Champs-Elysées de Paris

Mercredi 02 août 2023 sur Mezzo à 20h30
Ariane à Naxos de Richard Strauss au Festival d'Aix-en-Provence

Vendredi 04 août 2023 sur Mezzo HD à 21h00
Tosca de Puccini au Festival d'Aix-en-Provence

Vendredi 04 août 2023 sur Mezzo à 22h40
Jonas Kaufmann chante 'Werther' de Massenet à l'Opéra de Paris

Samedi 05 août 2023 sur Mezzo à 20h30
Tosca de Puccini au Festival d'Aix-en-Provence

Dimanche 06 août 2023 sur Mezzo HD à 21h00
'Eugène Onéguine' de Tchaïkovski à la Monnaie de Bruxelles

Mardi 08 août 2023 sur Mezzo à 22h55
Mignon d'Ambroise Thomas à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège

Mercredi 09 août 2023 sur Mezzo à 20h30
'Le Nez' de Chostakovitch à la Monnaie de Bruxelles

Vendredi 11 août 2023 sur Mezzo HD à 21h00
'Káťa Kabanová' de Janáček au Festival de Salzbourg

Vendredi 11 août 2023 sur Mezzo à 23h25
Le Chevalier à la rose de Richard Strauss

Samedi 12 août 2023 sur Mezzo à 20h30
La Gioconda de Ponchielli au Gran Teatre del Liceu

Dimanche 13 août 2023 sur Mezzo HD à 21h00
'Káťa Kabanová' de Janáček au Festival de Salzbourg

Mardi 15 août 2023 sur Mezzo à 22h15
Aïda de Verdi au Grand Théâtre de Genève

Mercredi 16 août 2023 sur Mezzo à 20h30
L'Enlèvement au sérail de Mozart au Grand Théâtre de Genève

Vendredi 18 août 2023 sur Mezzo HD à 21h00
'Turandot' de Puccini à Vérone

Vendredi 18 août 2023 sur Mezzo à 23h40
'Falstaff' de Verdi au Festival d'Aix-en-Provence

Samedi 19 août 2023 sur Mezzo à 20h30
La Force du destin de Verdi à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège

Dimanche 20 août 2023 sur Mezzo HD à 21h00
'Turandot' de Puccini à Vérone

Mardi 22 août 2023 sur Mezzo à 23h40
Ariane à Naxos de Richard Strauss au Festival d'Aix-en-Provence

Mercredi 23 août 2023 sur Mezzo à 20h30
Ottone in villa de Vivaldi à La Fenice de Venise

Vendredi 25 août 2023 sur Mezzo HD à 21h
'Madama Butterfly' de Puccini à Athènes

Vendredi 25 août 2023 sur Mezzo à 22h55
Tosca de Puccini au Festival d'Aix-en-Provence

Samedi 26 août 2023 sur Mezzo à 20h30
'Médée' de Charpentier au Théâtre des Champs-Elysées

Dimanche 27 août 2023 sur Mezzo HD à 21h00
'Le Nozze di Figaro' de Mozart au Festival de Salzbourg

Mardi 29 août 2023 sur Mezzo à 22h50
Le Chevalier à la rose de Richard Strauss

Mercredi 30 août 2023 sur Mezzo à 20h30
La Traviata de Verdi au Gran Teatre del Liceu

TV-Web Juillet-Août 2023 Lyrique et Musique

Web : Opéras en accès libre (cliquez sur les titres pour les liens directs avec les vidéos)

Sur Operavision, Culturebox, Arte Concert etc...

                            Illimité

Placido Domingo, l'homme aux mille vies

La Traviata (Chorégies d'Orange 2016) avec Domingo, Jaho, Meli

Le Barbier de Séville (Chorégies d'Orange 2018) avec Peretyatko, Sempey, Hotea

Roberto Alagna - Ma vie est un opéra

Le Royaume des Deux-Siciles (Roberto Alagna)

Patrick Dupond, un danseur chez les étoiles

Michaël Denard, le « prince » de l'Opéra de Paris

Anna Karenine (Mariinsky)

Accès Live avec Rim'K à l'Opéra Bastille pour « Le Lac des Cygnes »

Accès live à l'Opéra Garnier dans les coulisses de « La Cenerentola »

Le Requiem de Verdi (Chorégies d'Orange)

                           Juillet 2023

Rigoletto (Opéra de Montpellier) jusqu'au 01 juillet 2023

Angels in America (Comédie française) jusqu'au 02 juillet 2023

Les sept paroles du Christ (Vladimir Jurowski) jusqu'au 02 juillet 2023

Chefs-d’œuvre de musique française par François-Xavier Roth - "Les Siècles" fête ses 20 ans (Tourcoing) jusqu'au 04 juillet 2023

Le Moine noir (Festival d'Avignon 2022) jusqu'au 07 juillet 2023

Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier (Festspielhaus Baden-Baden) jusqu'au 07 juillet 2023

Résurrection - Castellucci (Festival d'Aix-en-Provence 2022) jusqu'au 12 juillet 2023

Guillaume Tell (Irish National Opera) jusqu'au 13 juillet 2023

Les Vêpres siciliennes (Teatro Massimo, Palermo) jusqu'au 14 juillet 2023

Samson et Dalila (Chorégies d'Orange) jusqu'au 15 juillet 2023

Luciano Pavarotti (Live in Central Park) jusqu'au 21 juillet 2023

L'Orfeo (Festival de Beaune) jusqu'au 22 juillet 2023

Moïse et Pharaon (Festival d'Aix-en-Provence) jusqu'au 24 juillet 2023

Agrippina (Drottningholm Palace Theatre) jusqu'au 27 juillet 2023

Ukrainian Freedom Orchestra (Concert de Varsovie) jusqu'au 29 juillet 2023

Jessy Norman et Kathleen Battle (Le concert) jusqu'au 30 juillet 2023

Jessy Norman et Kathleen Battle (Documentaire) jusqu'au 31 juillet 2023

                           Août 2023

Fauteuil d'orchestre (Opéra Comique) jusqu'au 03 août 2023

Concert inaugural de l'Opéra national de Paris (dm Dudamel) jusqu'au 04 août 2023

Jonas Kaufmann et Diana Damrau (Musikverein de Vienne) jusqu'au 04 août 2023

L'Elixir d'Amour (Chorégies d'Orange) jusqu'au 06 août 2023

Requiem de Verdi (Dôme de Milan 2020) jusqu'au 07 août 2023

Wozzeck (Festival d'Aix-en-Provence 2023) jusqu'au 12 août 2023

Le Crépuscule des Dieux (Staastoper Berlin) jusqu'au 12 août 2023

Montserrat Caballé chante Norma (Chorégies d'Orange 1974) jusqu'au 13 août 2023

Turandot (Finnish Opera & Ballet) jusqu'au 16 août 2023

Aida (Opéra national de Paris) jusqu'au 16 août 2023

Netrebko et Villazon chantent la Traviata (L'Opéra) jusqu'au 20 août 2023

Netrebko et Villazon chantent la Traviata (Documentaire) jusqu'au 21 août 2023

Achille in Sciro (Teatro Real de Madrid) jusqu'au 25 août 2023

Karajan dirige ''Le Chevalier à la Rose"  jusqu'au 27 août 2023

Karajan dirige ''Le Chevalier à la Rose"  (Documentaire) jusqu'au 28 août 2023

Vivaldi sous les étoiles (Planétarium de Fribourg) jusqu'au 28 août 2023

T                       Septembre 2023

Guerre et Paix (Bayerische Staatsoper) jusqu'au 05 septembre 2023

Jules César en Egypte (Théâtre des Champs-Elysées) jusqu'au 07 septembre 2023

Soirée Balanchine (Opéra national de Paris) jusqu'au 07 septembre 2023

Max Emanuel Cencic chante Haendel (Bayreuth 2022) jusqu'au 09 septembre 2023

Soirée de l'Opernstudio (Opéra de Frankfurt) jusqu'au 09 septembre 2023

Il matrimonio segreto (Teatro Regio di Parma) jusqu'au 10 septembre 2023

Alessandro nell' Indie de Leonardo Vinci (Bayreuth 2022) jusqu'au 10 septembre 2023

Catone in Utica (Teatro Comunale di Ferrara) jusqu'au 17 septembre 2023

'Amazon' par Lea Desandre, Thomas Dunford et l'Ensemble Jupiter  jusqu'au 20 septembre 2023

La Boxeuse amoureuse de Marie Agnès Gillot et Arthur H  jusqu'au 21 septembre 2023

Concert en soutien au peuple ukrainien (Orchestre national de l'Opéra de Lituanie) jusqu'au 21 septembre 2023

Rigoletto (Opéra de Rouen) jusqu'au 23 septembre 2023

Boris Godounov (New National Theater Tokyo) jusqu'au 24 septembre 2023

Asmik Grigorian (Philharmonie de Paris) jusqu'au 30 septembre 2023

                           Octobre 2023

Cendrillon - Pauline Viardot (Palau de les Arts Reina Sofia) jusqu'au 01 octobre 2023

Les Paladins (Opéra Royal de Versailles) jusqu'au 03 octobre 2023

Lakmé (Opéra Comique) jusqu'au 05 octobre 2023

Haendel au Théâtre du Châtelet jusqu'au 06 octobre 2023

Aida (Teatro dell'Opera di Roma) jusqu'au 07 octobre 2023

Kaija dans le miroir jusqu'au 13 octobre 2023

Gala d'opéra - Classic Open Air Hannover jusqu'au 13 octobre 2023

La Décision (Birmingham Opera Company) jusqu'au 14 octobre 2023

Miss Knife et ses soeurs (Festival d'Avignon) jusqu'au 14 octobre 2023

Maria Callas : Renata Tebaldi, la Féline et la Colombe jusqu'au 14 octobre 2023

La décision (Birmingham Opera Company) jusqu'au 14 octobre 2023

Mythologies (Angelin Preljocaj) jusqu'au 15 octobre 2023

On purge bébé (Philippe Boesmans) jusqu'au 17 octobre 2023

Prix Opera XXI (Theatre principal de Palma) jusqu'au 18 octobre 2023

Nathalie Stutzmann dirige l'Orchestre de Paris jusqu'au 20 octobre 2023

La Sonnambula (Deutsche Oper am Rhein) jusqu'au 21 octobre 2023

L'Oiseau de Feu (Philharmonique de Radio France) jusqu'au 24 octobre 2023

L'Or du Rhin (Staastoper Berlin) jusqu'au 27 octobre 2023

La Walkyrie (Staastoper Berlin) jusqu'au 27 octobre 2023

Siegfried (Staastoper Berlin) jusqu'au 27 octobre 2023

Macbeth (Festival de Salzburg 2023) jusqu'au 27 octobre 2023

L'Orfeo (Staatsoper Hannover) jusqu'au 28 octobre 2023

                           Novembre 2023

Elektra (Festival d'Aix-en-Provence 2013) jusqu'au 06 novembre 2023

Rusalka (Dutch national Opera & Ballet) jusqu'au 07 novembre 2023

Atys (Opéra de Versailles) jusqu'au 09 novembre 2023

Les Talens Lyriques (Théâtre du Châtelet) jusqu'au 11 novembre 2023

Tosca (Arènes de Vérone 2023) jusqu'au 12 novembre 2023

Cosi fan tutte (Festival de Salzbourg 2020) jusqu'au 12 novembre 2023

Le Songe d'une nuit d'été (Royal Swedish Opera) jusqu'au 12 novembre 2023

I Capuleti e i Montecchi (Opéra national de Paris) jusqu'au 12 novembre 2023

Henri VIII (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 16 novembre 2023

The Turn of the Screw (Teatro di Reggio Emilia) jusqu'au 21 novembre 2023

Haendel au Théâtre du Châtelet jusqu'au 23 novembre 2023

Soirée Maurice Béjart (Opéra National de Paris) jusqu'au 24 novembre 2023

Lennon (Croatian National Theatre in Zagreb) jusqu'au 26 novembre 2023

                           Décembre 2023

Les chemins de Bach / Dynasties à la Philharmonie de Paris jusqu'au 01 décembre 2023

Masterclass Ailyn Pérez & Brian Jagde jusqu'au 02 décembre 2023

Fromental Halévy : La Tempesta (Wexford Festival Opera 2022) jusqu'au 03 décembre 2023

La Finta Pazza (Opéra Royal de Versailles) jusqu'au 04 décembre 2023

Les 300 ans de Bach (Eglise St Thomas de Leipzig) jusqu'au 06 décembre 2023

Zemira e Azor (National Theater Mannheim) jusqu'au 10 décembre 2023

Joyce DiDonato : Master Class au Carnegie Hall (I/III) jusqu'au 12 décembre 2023

Joyce DiDonato : Master Class au Carnegie Hall (II/III) jusqu'au 12 décembre 2023

Joyce DiDonato : Master Class au Carnegie Hall (III/III) jusqu'au 13 décembre 2023

Les Chemins de Bach / Dynasties à la Philharmonie de Paris jusqu'au 13 décembre 2023

Old Ghosts (Irish national Opera) jusqu'au 16 décembre 2023

Concert de Noël 2020 du Philharmonique de Radio France jusqu'au 17 décembre 2023

BBC Cardiff Singer of the World 2023 Final jusqu'au 20 décembre 2023

La vie parisienne (Théâtre des Champs-Elysées) jusqu'au 23 décembre 2023

Roméo et Juliette (Opéra national de Paris) jusqu'au 27 décembre 2023

Nabucco (Grand Théâtre de Genève) jusqu'au 30 décembre 2023

Léa Desandre, récital baroque jusqu'au 31 décembre 2023

 

                           Janvier 2024

"Zarathoustra" & "Les Planètes" - Musée des Techniques de Spire jusqu'au 10 janvier 2024

Didon et Enée (Grand Theatre del Liceu) jusqu'au 14 janvier 2024

Idomeneo (Festival d'Aix-en-Provence 2022) jusqu'au 15 janvier 2024

Hunyadi Laszlo (Hungarian State Opera) jusqu'au 21 janvier 2024

Les artistes de l'académie de l'Opéra national de Paris (dm Dudamel) jusqu'au 23 janvier 2024

Peter Grimes (Polish National Opera & Ballet) jusqu'au 28 janvier 2024

                           Février 2024

Giulio Cesare (Opéra national des Pays-Bas) jusqu'au 01 février 2024

                          Mars 2024

Fauteuils d'Orchestre (Théâtre des Champs-Elysées) jusqu'au 16 mars 2024

Musique en fête (Chorégies d'Orange) jusqu'au 26 mars 2024

Hamlet (Opéra national de Paris) jusqu'au 30 mars 2024

Asmik Grigorian (Philharmonie de Paris) jusqu'au 31 mars 2024

                       Avril 2024

Carmen (Opéra Comique) jusqu'au 02 avril 2024

Messe en si mineur (Chapelle Royale de Versailles) jusqu'au 07 avril 2024

Le Concert de Paris 2023 jusqu'au 13 avril 2024

Récital Pene Pati (Dvorak Rudolfinum de Prague) jusqu'au 19 avril 2024

                          Mai 2024

Carmen (Chorégies d'Orange 2023) jusqu'au 03 mai 2024

Bastarda - Le Couronnement (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 28 mai 2024

Bastarda - La tournée royale (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 28 mai 2024

Bastarda - Mary, Reine d'Ecosse (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 28 mai 2024

Bastarda - Tuer une Reine (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 28 mai 2024

Bastarda - Miroirs brisés (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 28 mai 2024

Bastarda - La Reine de la Farce (La Monnaie de Bruxelles) jusqu'au 28 mai 2024

                          Juin 2024

Dans les coulisses de Roméo et Juliette (Opéra national de Paris) jusqu'au 02 juin 2024

Il Turco in Italia (Teatro Real de Madrid) jusqu'au 09 juin 2024

Innocence (Festival d'Aix-en-Provence 2021) jusqu'au 30 juin 2024

                           Juillet 2024

Innocence (Festival d'Aix-en-Provence 2021) jusqu'au 01 juillet 2024

L'incoronazione di Poppea  (Gran Theatre del Liceu de Barcelone) jusqu'au 11 juillet 2024

Wozzeck (Festival d'Aix-en-Provence 2023) jusqu'au 12 juillet 2024

L'opéra de quat'sous (Festival d'Aix-en-Provence 2023) jusqu'au 12 juillet 2024

Picture a day like this (Festival d'Aix-en-Provence 2023) jusqu'au 13 juillet 2024

                           Septembre 2024

Christiane Eda-Pierre, en scène jusqu'au 05 septembre 2024

Dalibor (Théâtre national de Prague) jusqu'au 10 septembre 2024

                          Décembre 2024

Grand concert symphonique Saint-Saëns (Auditorium de Radio France) jusqu'au 14 décembre 2024

Concert de Noël (Philharmonique de Radio France) jusqu'au 21 décembre 2024

 

                           Février 2025

Voix des Outre-mer (Amphithéâtre de l'Opéra Bastille) jusqu'au 20 février 2025

                         Septembre 2025

Angelin Preljocaj : La visite (Picasso Danse) jusqu'au 19 septembre 2025

 

                           Mars 2026

Concert en soutien au peuple ukrainien (Maison de Radio France) jusqu'au 04 mars 2026

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Rédigé par David

Publié dans #TV Lyrique

Publié le 29 Juin 2023

Saint-François d’Assise (Olivier Messiaen -
28 novembre 1983 - Paris, Palais Garnier)
Représentation du 25 juin 2023
Stuttgart Staatsoper

Saint François Michael Mayes
L’Ange Beate Ritter
Le lépreux Moritz Kallenberg
Frère Léon Danylo Matviienko
Frère Massée Elmar Gilbertsson
Frère Élie Gerhard Siegel
Frère Bernard Marko Špehar
Frère Sylvestre Elliott Carlton Hines
Frère Rufin Anas Séguin

Direction musicale Titus Engel
Mise en scène Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan (2023)

A l’approche du quarantième anniversaire de la création de ‘Saint-François d’Assise’ au Palais Garnier, Viktor Schöner monte pour la première fois à l’Opéra de Stuttgart le chef-d’œuvre d’Olivier Messiaen, évènement qui pourrait laisser croire qu’il chercherait à prolonger l’engagement qu’avait Gerard Mortier pour cet ouvrage. 

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

En effet, collaborateur de ce dernier à la Ruhrtriennale, il fut, en même temps qu’Alexander Neef, l’un des directeurs adjoints du directeur flamand à la tête de l’Opéra de Paris, au moment où celui-ci montait à Bastille en 2004 une nouvelle production de ‘Saint-François d’Assise’ sous la direction scénique de Stanilas Nordey.

Par la suite, lorsqu’il prit la direction artistique de l’opéra de Munich, Viktor Schöner confia en 2011 une production à Hermann Nitsch, alors qu’au même moment Gerard Mortier programmait au Teatro Real de Madrid la production d’Ilya et Emila Kabakov originellement conçue pour Bochum en 2003.

Production de Saint-François d'Assise par Ilya et Emila Kabakov (Madrid, 2011)

Production de Saint-François d'Assise par Ilya et Emila Kabakov (Madrid, 2011)

Le spectacle qui est cette fois proposé par Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan à Stuttgart dépouille partiellement l’œuvre de son mysticisme, tout en cherchant à connecter l’auditeur à la nature. Pour se faire, si le premier acte et le troisième acte se déroulent bien à l’opéra d’État, le second va être joué au parc Wartberg situé à 3 km au nord du centre ville, puis sur la scène construite au sommet du Killesberg.

Débutant à 14h en ce dimanche après-midi, il faudra en effet attendre 22h10 pour que la représentation s’achève par une standing ovation qui saluera autant les artistes de cette production marathonienne que le public lui-même pour son courage et sa concentration.

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Dans la première partie, l’orchestre est disposé en arrière scène alors qu’une simple mise en espace est jouée à l’avant scène. Trois claviers de types xylophone, xylorimba ou marimba sont disposés tout autour du Titus Engel, et l’ensemble des musiciens semblent former un amphithéâtre tout autour de lui.

Saint-François d’Assise et frère Léon sont d’abord habillés de façon conventionnelle, en noir, comme s’ils assistaient aux funérailles d’un lièvre étendu au sol, symbole associé au christ et à sa résurrection. Puis, Saint-François revêt un humble vêtement aux teintes vertes qui amorce une dialectique visuelle totalement vouée au panthéisme de la nature.

Une fois Frère Léon endormi, le lièvre est recouvert de terre et de jeunes pousses, l’ombre d’un grand arbre se projette sur le rideau transparent qui sépare l’orchestre de la scène, et le lépreux survient sous forme d’un agglomérat de champignons parasites.

L'orchestre de l'Opéra de Stuttgart

L'orchestre de l'Opéra de Stuttgart

Puis, à la grande surprise du spectateur, l’Ange apparaît en fond de scène sous la forme d’une mante religieuse (‘Gottesanbeterin’ en allemand) dont deux pans de tissu qui pendent en bout de bras représentent les pattes semblant prier. Son costume scintillant multicolore en fait un être magique et moins inquiétant que l’insecte originel.

Des projections de vidéos d’oiseaux sautillants de toutes parts sont également utilisées pour illustrer la rythmique de la musique, et le baiser de Saint-François au lépreux aura juste pour effet de débarrasser ce dernier de son laid costume et de le rendre en homme normal habillé de noir.

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Au cours de cette première partie, c’est avec grand plaisir que l’on retrouve le jeune baryton ukrainien Danylo Matviienko, ancien résident de l’Académie de Musique de l’Opéra de Paris, devenu membre de la troupe de l’Opéra de Francfort. D’une très belle unité de timbre sombre et charmeuse, il rend aussi le texte de Frère Léon bien intelligible tout en lui adjoignant une solide prestance.

Moritz Kallenberg, en lépreux, est naturellement plus clair, mais a aussi cette même souplesse de timbre qui rend son personnage émouvant, et la première apparition de Beate Ritter révèle une très sensible luminosité subtilement vibrante qui accroît la nature hypnotique du chant de l’Ange.

Beate Ritter (L’Ange)

Beate Ritter (L’Ange)

Et en Saint François, Michael Mayes fait entendre une voix très noire et ténébreuse qui donne beaucoup d’ampleur et d’autorité à son personnage, sans toutefois atteindre la netteté d’élocution avec laquelle José van Dam, créateur du rôle, a si bien caractérisé le Saint pendant 20 ans.

Les interventions du chœur au parterre, mais aussi sur les bords des balcons au milieu des spectateurs, sont impressionnantes par leur élégie et leur pureté, et forment la manifestation la plus divine de ce spectacle qui ne fait que commencer.

Soleil traversant les arbres du Killesberg

Soleil traversant les arbres du Killesberg

Car après cette première partie en trois tableaux qui a d’emblée démontré comment Titus Engel faisait corps avec son orchestre pour donner de l’emprise à cette musique si riche en polyphonie et vivacité de traits, le public est désormais convié à se séparer en petits groupes qui vont être emmenés les uns après les autres aux jardins de Wartberg situés à quatre stations de métro de l’opéra.

Le transfert dure 45 minutes et, arrivé au bord du bassin artificiel Egelsee, chacun se voit remettre un petit lecteur mp3 qui lui permettra d’écouter le 4e tableau ‘L’Ange voyageur’ tout en se promenant dans le parc afin de rejoindre, avant 18h, le théâtre situé en haut du Killesberg où vont se dérouler les deux tableaux suivants.

Figurante jouant L'Ange au parc de Wartberg.

Figurante jouant L'Ange au parc de Wartberg.

On perd donc un rapport direct à l’interprétation de ce quatrième tableau, mais la qualité du lecteur permet quand même d’apprécier la rutilance des cuivres aussi théâtraux que dans la rencontre entre Siegfried et Fafner au cours de la seconde journée de la Tétralogie de Wagner, ainsi que la finesse mélodique autant instrumentale que vocale, où se démarque l’éclat charismatique du Frère Élie de Gerhard Siegel, grand interprète que l’on ne pourra donc pas entendre en vrai. 

La fraîcheur de timbre de Beate Ritter est elle aussi toujours aussi agréable. 

Et au cours de la montée sur la colline, plusieurs sosies de l’ange-mante religieuse se dissimulent dans la nature près des chemins des randonneurs.

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

C’est donc sur les gradins de la scène évènementielle du Killesberg entourée d’arbres et de pelouses que les spectateurs retrouvent l’ensemble de l’orchestre en plein air. Le soleil de fin de journée éblouit certains auditeurs, et les oiseaux environnants mêlent leur chant à la musique, ce qui a particulièrement de l’effet lors du Prêche aux oiseaux.

La mise en espace est assez simple, et des figurants amènent progressivement des pancartes dessinant des oiseaux de toutes les couleurs qui seront incrustées dans l’estrade centrale.

Le chœur sur la scène du Killesberg

Le chœur sur la scène du Killesberg

La voix très sonore de Michael Mayes s’adapte très bien à l’ouverture de ce lieu livré aux bruits de la nature et des cieux, et le chanteur s’arroge une très grande sympathie lorsqu’il se met à incarner un Saint-François qui prêche en déambulant parmi les sièges du public. Nous ne sommes pas loin d’assister à une forme de cérémonie hippie, et chacun peut s’amuser à reconnaître les espèces d’oiseaux qui sont représentées.

Titus Engel doit aussi bien garder l’œil sur les musiciens que sur le chanteur qui bouge partout dans l’enceinte, et il conduit avec une apparente décontraction un orchestre qui vibre à l’unisson. Le plein air a cependant tendance à atténuer le relief orchestral, ce que le spectateur compense toutefois par une plus grande proximité. Le chœur, lui, est toujours aussi splendide et bénéficie d’une estrade spécifique érigée en arrière du public pour donner de la voix dans les meilleurs conditions.

Saint-François d’Assise (Mayes Mahler Connan Engel) Stuttgart

Et après cette culmination en milieu extérieur, tout le monde se retrouve à l’opéra pour profiter d’un en-cas dans le soleil couchant, face au lac qui borde le bâtiment qui eut la chance d’avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale.

Retour aux conventions pour les deux derniers tableaux, ‘Les stigmates’ et ‘La mort et la Nouvelle Vie’, puisque l’orchestre se trouve cette fois intégralement dans la fosse, et relativement serré.

La mort et résurrection de Saint-François est mise en scène sous la forme d’un immense soleil dont les rayons jaunes dorés sont pris dans une toile qui descend pour recouvrir le vieil homme lentement.

Titus Engel (Direction musicale)

Titus Engel (Direction musicale)

Le chœur, apparaissant d’abord en rampant comme des insectes, est vêtu de bermudas et de bandanas, et accompagne cette transformation avec une puissance évocatrice absolument grandiose.

Un large miroir domine la scène, et la vidéographie d’une mante religieuse naissant de son ancien corps est projetée pour imaginer cette forme de résurrection naturelle.

Malgré l'heure avancée, tout le monde, de l'orchestre au chœur, est à son plus haut niveau artistique, et Michael Mayes se fait même plaisir de façon très démonstrative à déployer un souffle phénoménal et retentissant, la plus forte manifestation qui soit d'une vie qui se regénère. 

Marko Špehar (Frère Bernard), Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Marko Špehar (Frère Bernard), Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan synthétisent ainsi dans ce dernier acte leur rêve d’une société distanciée de son environnement urbain afin de reconstituer une communauté en communion avec la nature, ce que Saint-François d’Assise symbolise à leur yeux.

Il n’est pas étonnant d’être confronté à des points de vue sensiblement écologiques dans les théâtres allemands, mais la principale qualité de cette production est de rendre une œuvre monumentale et intimidante accessible à tous, de la démystifier en quelque sorte, et de lui donner une dimension modeste et ludique. Et l’engagement de l’ensemble de la distribution a été essentiel pour arriver à cette fin.

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Publié le 26 Juin 2023

Signes (Carolyn Carlson – Olivier Debré, le 27 mai 1997)
Représentation du 21 juin et du 16 juillet 2023
Opéra Bastille

Ballet en 7 tableaux : Signe du sourire, Loire du matin, Monts de Guilin, Les moines de la Baltique, L’esprit du bleu, Les couleurs de Madurai, Victoire des Signes

Hannah O’Neill
Germain Louvet
Victoire Anquetil, Awa Joannais, Sofia Rosolini (Mont de Guilin)
Ida Viikinkoski, Yvon Demol (Les couleurs de Madurai)

Sur une idée originale d’Olivier Debré
Musique enregistrée René Aubry
Chorégraphie Carolyn Carlson (1997)
Décors et costumes Olivier Debré
Corps de ballet de l’Opéra national de Paris

Retransmission en direct le 14 juillet 2023 sur Paris Opera Play, la plateforme de l'Opéra National de Paris.

Après dix ans d’absence sur la scène de l’opéra Bastille, le ballet onirique imaginé par Olivier Debré et Carolyn Carlson sur des décors colorés et abstraits propices à l’évasion est confié pour sa cinquième reprise à un jeune couple de danseurs étoiles tout juste trentenaires, Hannah O’Neill et Germain Louvet.

Hannah O’Neill et Germain Louvet - Monts de Guilin

Hannah O’Neill et Germain Louvet - Monts de Guilin

En ce mercredi de première – il s’agit de la 45eme représentation depuis le 27 mai 1997 – qui coïncide avec la 41e soirée de la fête de la musique, la forte luminosité rose pastel du décor souriant dès l'avant spectacle donne un charme bucolique aux balcons de la salle totalement pleine d’un public tout aussi souriant et décontracté.

En moins d'une heure trente, le spectateur est ainsi emporté dans un univers sonore qui évoque très souvent les rythmes et les ornements orientaux de l'Arabie à l'Orient indien, alors que les beaux accords de guitare ajoutent une tonalité hispanique plus latine.

Germain Louvet et les danseurs du Corps de ballet - Signe du sourire

Germain Louvet et les danseurs du Corps de ballet - Signe du sourire

Il y a en effet un merveilleux alliage de couleurs chaudes, généreuses et fort contrastées, au cours des sept scènes qui évoluent entre compositions reflétant le toucher velouté des fruits gorgés de soleil ou bien les bleus de Monet, jusqu'aux oppositions entre le blanc et le noir du dernier tableau.

La musique de René Aubry et la chorégraphie y diluent une fluidité qui invite chacun au laisser-aller, aux pensées nostalgiques au son de l'accordéon, et l'humanité qu'incarnent les groupes de danseurs exprime de manière ludique des mouvements cycliques qui s'accordent au déroulement mécanique du temps.

Awa Joannais, Sofia Rosolini et Victoire Anquetil - Mont de Guilin

Awa Joannais, Sofia Rosolini et Victoire Anquetil - Mont de Guilin

Les caractères des solistes et des ensembles de danseurs sont ainsi totalement estompés, et seule compte la grâce des lignes qui décrivent les ondes de la vie.

Le spectacle est donc dénué de tout esprit de performance, ce qui ramène un peu chacun à une forme d'innocence naïve.

Kader Belarbi avait fortement marqué ce ballet lors de la création et des premières reprises, et l'on retrouve chez Germain Louvet cette même forme de prestance d'aigle céleste qu'il nuance par une gestuelle plus féminine dont l'ampleur et la vivacité impressionnent tout autant.

Germain Louvet  et Hannah O’Neill - Monts de Guilin

Germain Louvet et Hannah O’Neill - Monts de Guilin

Les inspirations orientales de 'Signes' correspondent très bien également à Hannah O’Neill qui, loin d'assombrir son personnage ou de le romanticiser, en purifie les lignes pour lui donner une légèreté d'une finesse extrême.

S'éprouve ainsi un véritable plaisir serein à admirer couleurs, peintures et courbures des ensembles chorégraphiques sur cette musique qui nous emmène aussi loin.

Adrien Couvez, Marion Gautier de Charnacé, Marius Rubio, Loup Marcault-Derouard, Laurène Levy - Victoire des Signes

Adrien Couvez, Marion Gautier de Charnacé, Marius Rubio, Loup Marcault-Derouard, Laurène Levy - Victoire des Signes

Et au rideau final, les deux artistes étoiles viennent accueillir et entourer Carolyn Carlson qui, il y a tout juste 50 ans, débutait au Palais Garnier en tant que chorégraphe et danseuse avec 'Density 21,5'. Et la fascination de Rolf Liebermann pour elle fut telle qu’il la nomma 'chorégraphe-étoile' l'année d'après.

Hannah O’Neill, Carolyn Carlson et Germain Louvet

Hannah O’Neill, Carolyn Carlson et Germain Louvet

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Publié le 18 Juin 2023

Roméo et Juliette (Charles Gounod – 1867)
Version de l’Opéra national de Paris du 28 novembre 1888
Répétition générale du 12 juin et représentations du 17, 30 juin et 12 juillet 2023
Opéra Bastille

Roméo Benjamin Bernheim / Francesco Demuro (15/07)
Juliette Elsa Dreisig / Pretty Yende (15/07)
Frère Laurent Jean Teitgen
Mercutio Huw Montague Rendall / Florian Sempey (15/07)
Tybalt Maciej Kwaśnikowski
Benvolio Thomas Ricart
Comte Capulet Laurent Naouri
Pâris Sergio Villegas-Galvain
Le duc de Vérone Jérôme Boutillier
Frère Jean Antoine Foulon
Grégorio Yiorgo Ioannou
Stéphano Léa Desandre / Marina Viotti (15/07)
Gertrude Sylvie Brunet-Grupposo
Manuela So-Hee Lee
Pepita Izabella Wnorowska-Pluchart
Angelo Vincent Morell

Direction musicale Carlo Rizzi
Mise en scène Thomas Jolly (2023)
Chorégraphie Josépha Madoki
Coproduction Teatro Real de Madrid

Retransmission en direct le 26 juin 2023 sur France.tv/Culturebox, et sur France Musique le 8 juillet 2023 à 20h dans l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.

Fin 1864, Charles Gounod accepta de composer un ouvrage pour le Théâtre Lyrique, théâtre qui était situé à l’époque place du Châtelet et dirigé par Léon Carvalho. Il acheva l’orchestration de ‘Roméo et Juliette’ en juillet 1866, et insista pour que l’ouvrage soit donné avec des dialogues parlés.

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

La création eut lieu le 27 avril 1867, quelques semaines après l’ouverture de la Grande exposition Universelle qui marquait l’apogée de l’Empire, et elle fut d’emblée un immense succès salué par 102 représentations en 8 mois seulement.

Puis, après l’incendie du Théâtre Lyrique lors de la Commune de 1871, l’ouvrage fit son entrée à l’Opéra Comique le 20 janvier 1873 pour 291 représentations, avant qu’il n’entre au répertoire de l’Opéra de Paris le 28 novembre 1888, un peu plus d’un an après l’incendie de la seconde salle Favart, dans une version remaniée avec ballet – le principal remaniement concernant la fin du IIIe acte qui élargit la présence du Duc en compensation de plusieurs coupures légères à chaque acte -.

Jérôme Boutillier (Le duc de Vérone)

Jérôme Boutillier (Le duc de Vérone)

Depuis, le Palais Garnier lui a dédié 634 représentations, si bien qu’il fait partie des dix opéras les plus joués au sein de ce magnifique bâtiment Second Empire au cours de son premier siècle d’existence.
Mais depuis le 22 décembre 1985, ‘Roméo et Juliette’ n’est plus au répertoire de l’institution nationale.

Le retour à l’Opéra de Paris d’un des grands chefs-d’œuvre de Charles Gounod est donc un évènement historique pour la maison, d’autant plus qu’il survient au cours de la saison 2022/2023 qui a connu le retour d’un autre ouvrage français basé sur une œuvre littéraire de William Shakespeare, ‘Hamlet’ d’Ambroise Thomas, dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski.

Roméo et Juliette (Dreisig Bernheim Yende Demuro Rizzi Jolly) Opéra de Paris

Pour cette renaissance, c’est bien entendu la version de 1888 qui est interprétée sur scène, mais avec uniquement la reprise du dernier des 7 mouvements du ballet, la danse des Bohémiennes.

Toutefois, deux passages de la version du Théâtre Lyrique qui avaient été supprimés lors de la création au Palais Garnier sont rétablis ce soir, la grande scène de Juliette au IVe acte ‘Dieu! Quel frisson court dans mes veines’ qui se conclut par la prise du breuvage, et la petite scène du Ve acte entre frère Laurent et frère Jean qui permet de comprendre que le page de Roméo n’a pu remettre à ce dernier la lettre l’avertissant du subterfuge, ce qui améliore la cohérence dramaturgique.

Elsa Dreisig (Juliette) et Léa Desandre (Stéphano)

Elsa Dreisig (Juliette) et Léa Desandre (Stéphano)

Pour sa seconde mise en scène à l’Opéra de Paris, après Eliogabalo’ de Francesco Cavalli qui avait fait l’ouverture de la saison 2016/2017 au Palais Garnier, Thomas Jolly architecture sa scénographie autour d’une immense maquette inspirée du Grand Escalier du célèbre théâtre baroque, magnifiquement travaillée et qui comprend aussi les multiples torchères qui en font la splendeur.

Ce dispositif unique est installé sur le grand plateau tournant de la scène Bastille, ce qui permet par de lents mouvements de changer en permanence les ambiances, de faire apparaître des recoins sombres, des petits ponts, de varier les élévations, ou de simplement illustrer le célèbre balcon de Vérone.

Jean Teitgen (Frère Laurent), Benjamin Bernheim (Roméo), Elsa Dreisig (Juliette) et Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude)

Jean Teitgen (Frère Laurent), Benjamin Bernheim (Roméo), Elsa Dreisig (Juliette) et Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude)

Vient ensuite se superposer à cet impressionnant dispositif une projection d’une multitude de faisceaux lumineux mobiles situés de toutes parts sur les parois latérales, en surplomb ou en arrière scène, qui contribuent, eux aussi, aux variations d'atmosphères, tout en évoquant les ombres des peintures de la Renaissance, liant également la salle à la scène en projetant les rayons lumineux vers le public.

A cela s’ajoute une richesse de costumes rouges, noirs et blancs, souvent accompagnés de masques eux-mêmes richement décorés, évoquant ainsi la débauche de fantaisies baroques et de scintillements avec laquelle Baz Luhrmann avait réalisé sa version de ‘Roméo et Juliette’ en 1996 avec Leonardo DiCaprio et Claire Danes.

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Le tout est enfin animé par une multitude de figurants jouant dans les moindres interstices du décor, parmi lesquels les danseurs de Josépha Madoki - chorégraphe devenue célèbre pour faire revivre le ‘Waacking’, une danse des années 60 issue des clubs LGBTQ+  revenue à la mode dans les années 2000, et qui sert à travers des mouvements de bras très dynamiques à exprimer des caractères forts - viennent tisser de vifs mouvements corporels en lien avec la musique de Gounod.

Elsa Dreisig (Juliette)

Elsa Dreisig (Juliette)

Le rétablissement partiel du ballet composé pour la version de 1888, situé juste après que Juliette ne boive son breuvage, permet ainsi d’illustrer son passage dans un autre monde qui peut faire penser, à travers la réalisation scénique, aussi bien à celui de Giselle rejoignant le royaume des Willis qu’à celui de La Bayadère rejoignant le royaume des Ombres.

Il en résulte un effet grand spectacle très vivant et dépoussiéré, mais qui préserve habilement les références qui permettent de s’allier très efficacement la part la plus traditionnelle du public tout en séduisant sa part la plus jeune.

Carlo Rizzi et Elsa Dreisig

Carlo Rizzi et Elsa Dreisig

A cette brillante facture scénique s’ajoute une interprétation musicale galvanisante qui doit autant à la direction orchestrale qu’aux intenses qualités lyriques des chanteurs, et aussi à leur très grand engagement théâtral auquel Thomas Jolly a fortement contribué.

Déjà fort apprécié dans sa lecture de ‘Cendrillon’ jouée à l’opéra Bastille en mars 2022, œuvre de Jules Massenet qui sera reprise en octobre 2023, Carlo Rizzi confirme ses affinités avec le grand répertoire romantique français.

L’ouverture, qui se déroule dans une ambiance nocturne où l’on ramasse des corps inanimés au pied du décor fortement assombri, dominé par une porte où une croix rouge en forme de ‘quatre’ inversé signe la présence mortifère de la peste, est interprétée de façon très majestueuse et avec profondeur. 

Elsa Dreisig (Juliette)

Elsa Dreisig (Juliette)

Puis, la narration dramatique est embaumée par une finesse expansive d’où jaillissent avec panache des effets théâtraux colorés par les cuivres, et une grande attention est accordée aux respirations des chanteurs qui sont amenés à beaucoup bouger dans ce décor monumental. Les chœurs, qui bénéficient de dispositions frontales étagées en hauteur, rayonnent d’un resplendissant impact très bien cordonné à la musique, et contribuent évidemment à cet effet grand spectacle voulu dès le départ.

Carlo Rizzi tisse également un filage très poétique des lignes mélodiques avec une fluidité chantante qui incite au rêve, et c’est véritablement avec grand plaisir et bonheur pour lui que s’apprécient sa réussite et son indéniable affection pour ce répertoire.

Benjamin Bernheim (Roméo)

Benjamin Bernheim (Roméo)

Avec un tel soutien, les deux rôles principaux réunis pour cette première représentation, Benjamin Bernheim et Elsa Dreisig, ne peuvent que donner le meilleur d’eux-mêmes.

Le ténor franco-suisse est absolument fabuleux dans le rôle du jeune aristocrate au costume scintillant. La voix est claire, rayonnante, et lui permet de moduler toutes sortes de nuances caressantes, et même de passer en voix mixte pour exprimer les sentiments les plus subtils.

Mais lorsqu’il implore Juliette d'apparaître au balcon, tout le torse se bombe et sa voix concentre une force virile prodigieuse qui libère un éclat chaleureux sans pareil. C’est absolument formidable à entendre, et il incarne ainsi une jeunesse idéale de verve et d’espérance. Le public en est subjugué.

Elsa Dreisig (Juliette)

Elsa Dreisig (Juliette)

Elsa Dreisig est elle aussi une merveilleuse incarnation de la jeunesse romantique. Douée d’un timbre très clair et vibrant, comme parcellé de petits diamants, qui fuse et s’épanouit avec l’allant de la musique, elle propage une luminosité heureuse avec une grande assurance vocale, et son charisme naturel lui permet de dépeindre un personnage d’une grande intensité cinématographique. 

Maciej Kwaśnikowski (Tybalt) et Sergio Villegas-Galvain (Pâris)

Maciej Kwaśnikowski (Tybalt) et Sergio Villegas-Galvain (Pâris)

Et ces deux très grands artistes sont entourés de chanteurs qui sont pour beaucoup une révélation pour les habitués parisiens. 

Ainsi, Maciej Kwaśnikowski, que l’on connaît bien parce qu’il est issu de l’Académie de l’Opéra de Paris et qu'il fera partie des membres de la troupe la saison prochaine, se voit confier à travers Tybalt un premier rôle conséquent, dont il s’empare avec brio grâce à son incisivité vocale ombrée et aussi son jeu théâtral très dynamique.

Le combat avec Mercutio - il est rare de voir des chanteurs s’engager dans un jeu violent avec un tel réalisme – permet aussi de très bien mettre en valeur la souplesse et le toucher velouté de la voix de Huw Montague Rendall qui fait vivre l’exubérance de l’ami de Roméo avec un charme fou.

Benjamin Bernheim (Roméo) et Huw Montague Rendall (Mercutio)

Benjamin Bernheim (Roméo) et Huw Montague Rendall (Mercutio)

Autre découverte également, le duc de Vérone incarné par Jérôme Boutillier qui lui insuffle une magnifique prestance avec une excellente homogénéité de timbre, tout en assurant une allure très jeune à cette figure autoritaire que la version de 1888 de ‘Roméo et Juliette’ renforce.

Entré à l’Académie de l’Opéra de Paris en 2021, Yiorgo Ioannou trouve en Grégorio un premier rôle qui permette d’apprécier son expressivité de caractère en conformité avec l’esprit provocateur de son personnage, et bien que le rôle de Pâris soit très court, Sergio Villegas-Galvain lui offre un véritable charme souriant qui donne envie de le découvrir dans des incarnations plus étoffées.

Laurent Naouri (Le Comte Capulet)

Laurent Naouri (Le Comte Capulet)

De son mezzo ambré joliment projeté, Léa Desandre ne fait que dispenser légèreté et séduction à Stéphano, le page de Roméo, et parmi les vétérans, Jean Teitgen, en Frère Laurent paternaliste, Sylvie Brunet-Grupposo, en Gertrude bienveillante au timbre sensible inimitable, et Laurent Naouri, en Comte Capulet bien sonore, complètent avantageusement ces portraits pittoresques et essentiels au drame.

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Benjamin Bernheim (Roméo) et Elsa Dreisig (Juliette)

Cette dernière production de la saison signe ainsi la réussite totale des grands paris artistiques que s’était donné Alexander Neef pour sa seconde saison, réhabilitant avec force et intelligence le grand répertoire historique de la maison, et c’est avec une forte impatience que nous pouvons attendre la seconde distribution partiellement renouvelée qui réunira Francesco Demuro, Pretty Yende, Florian Sempey et Marina Viotti dès la fin du mois de juin.

Katja Krüger (Collaboration artistique), Bruno de Lavenère (Décors), Thomas Jolly (Mise en scène), Sylvette Dequest (Costumes) et Josépha Madoki (Chorégraphie)

Katja Krüger (Collaboration artistique), Bruno de Lavenère (Décors), Thomas Jolly (Mise en scène), Sylvette Dequest (Costumes) et Josépha Madoki (Chorégraphie)

A revoir sur Culturebox jusqu'au 27 janvier 2024 : Roméo et Juliette

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Publié le 8 Juin 2023

Breaking the waves (Missy Mazzoli – Philadelphie, le 22 septembre 2016)
Représentation du 30 mai 2023
Opéra Comique – Salle Favart

Bess McNeill Sydney Mancasola
Jan Nyman Jarrett Ott
Dodo McNeill Wallis Giunta
Mother Susan Bullock
Dr Richardson Elgan Llŷr Thomas
Terry Mathieu Dubroca*
Councilman Andrew Nolen
Sadistic Sailor Pascal Gourgand*
Young Sailor Fabrice Foison*

*Membres de l’Ensemble Aedes 

Direction musicale Mathieu Romano
Mise en scène Tom Morris (2016)
Orchestre de chambre de Paris, Chœur Ensemble Aedes

Coproduction Edinburgh Festival, Opera Ventures, Scottish Opera,  Houston Grand Opera, Adelaide Festival, Detroit Opera

L’imprégnation de la musique contemporaine américaine dans la sensibilité musicale européenne d’aujourd’hui est fascinante à admirer, et l’accueil chaleureux et sincère que le public de l’Opéra Comique de Paris vient de réserver au second opéra de Missy Mazzoli le confirme avec force.

Jarrett Ott (Jan Nyman) et Sydney Mancasola (Bess)

Jarrett Ott (Jan Nyman) et Sydney Mancasola (Bess)

Née dans une petite ville de Pennsylvanie où seules les compositions les plus célèbres de la musique classique étaient jouées, c’est lorsqu’elle réussit à s’installer à New-York à l’âge de 25 ans que la jeune compositrice put se consacrer à la musique d’avant-garde et libérer ses envies de créations.

Ainsi, depuis près de 20 ans, elle a créé nombre de pièces vocales et de musiques de chambre (‘A Thousand Tongues’ - 2011), de solo instrumentaux (‘Vespers for violin’ - 2014), de concertos pour orchestre (‘Dark with Excessive Bright' - 2018), et quatre opéras, ‘Salt’ (2013), ‘Breaking the Waves’ (2016), ‘Proving Up’ (2018) et ‘The Listeners’ (2021).

Ses compositions sont si inspirantes que des artistes de tous les univers se passionnent à les interpréter, et la mezzo-soprano canadienne Emily d’Angelo, qui vient d’incarner le rôle d’’Ariodante’ au Palais Garnier cette saison, a elle-même enregistré en 2021 un premier album ‘Enargeia’ (Deutsche Grammophon) très original qui réunit des œuvres couvrant 800 ans d’histoire, où l’on trouve pas moins de quatre pièces de Missy Mazzoli, ‘A Thousand Tongues’, ‘This World Within Me is Too Small’, ‘You Are the Dust’ et ‘Hello Lord’. Elle a d’ailleurs chanté ces deux derniers titres au Koerner Hall de Toronto le 22 février dernier.

 Emily d’Angelo - Enargeia

Emily d’Angelo - Enargeia

Second opéra, mais premier par son ampleur - ‘Salt’ ne durait que 23 mn -, ‘Breaking the Waves’ fut créé à Philadelphie le 22 septembre 2016 dans une mise en scène de James Darrah, 20 ans après la sortie du film de Lars von Trier dont il s’inspire.

Depuis, pas moins de 4 autres metteurs en scène se sont emparés de l’œuvre : Tom Morris au King’s Theatre du Festival d’Edinburgh (2019), Melly Still au Theater St Gallen (2021), Ylva Kihlberg au Château de Vadstena en Suède (2022) et Toni Burkhardt à Bremerhaven (2023).

Et c’est aux coproducteurs de la version de Tom Morris que l’Opéra-Comique s’est associé pour présenter cet ouvrage très fort pendant trois soirs à la salle Favart.

Sydney Mancasola (Bess)

Sydney Mancasola (Bess)

On ne pouvait pas trouver mieux comme théâtre tant la forme musicale de l’écriture de Missy Mazzoli qui délie des nappes orchestrales sinueuses et malléables, souvent sombres mais aussi irisées par des frémissements de cordes extrêmement cristallins, et qui se développe selon une trame théâtrale bien affirmée, croise l’univers mélancolique de Claude Debussy, tout en suggérant des ondes insidieuses straussiennes et une polychromie imaginative, bien moins acérée toutefois que celle d’un Dmitri Chostakovitch.

Ce rapport à l’intimisme est l’une des forces de l’ouvrage, et la mise en scène de Tom Morris réussit très bien à rendre simple et très humaine la passion charnelle entre Bess et Jan, et à ne pas trop vulgariser la relation de la jeune femme aux hommes de la communauté quand elle cherche à se prostituer, à la demande de son amant devenu impuissant, afin de lui redonner vie.

Sydney Mancasola (Bess) et l'Ensemble Aedes

Sydney Mancasola (Bess) et l'Ensemble Aedes

Le jeux d’acteur est sobre mais crédible, et Sydney Mancasola réussit à rendre un mélange de ferveur écorchée et de passion spirituelle qui traduit bien toutes les interrogations conflictuelles que pose sa démarche basée sur le don de soi, la quête de plaisir, l’amour absolu pour un autre, et une totale résistance à l’univers qui l’entoure.

On retrouve donc un terme récurrent à l’opéra qui est celui de l’ opposition entre l’individu et la société. Et dans ce cas précis, il s’agit autant d’une société dont Bess exacerbe les propres vices, que d’une société bardée d’interdits au nom d’un rigorisme religieux qui l’amène à condamner et exclure toute personne déviante.

Pour le spectateur d’aujourd’hui, il s’agit surtout d’éprouver son positionnement par rapport à un comportement extrême, et sa capacité à accepter la nature du sacrifice que réalise l’héroïne.

Susan Bullock (La Mère), Wallis Giunta (Dodo), Sydney Mancasola (Bess) et Jarrett Ott (Jan Nyman)

Susan Bullock (La Mère), Wallis Giunta (Dodo), Sydney Mancasola (Bess) et Jarrett Ott (Jan Nyman)

L’orientation que donne Tom Morris vire d’ailleurs à l’imagerie christique de la Passion lorsque le parcours de Bess s’achève dans un dolorisme sanglant. Et impossible de ne pas penser au dernier acte au chœur des marins maudits du ‘Vaisseau Fantôme’ de Richard Wagner, dans une réalisation où leurs ombres se détachent sur un fond rougeoyant.

Le tout est joué dans un décor pivotant qui suit le mouvement continûment marin de la musique et de la dramaturgie, décor qui s’appuie sur les jeux d’ombres formés par un ensemble de colonnes qui lui donnent un petit effet inquiétant type ‘cinéma expressionniste allemand'.

Le chœur Aedes en tire avantage, et l’ouvrage offre de très beaux effets de courbure à ses lignes de chant, un art de la déformation que l’on retrouve souvent chez Missy Mazzoli.

Jarrett Ott (Jan Nyman) et Sydney Mancasola (Bess)

Jarrett Ott (Jan Nyman) et Sydney Mancasola (Bess)

Tous les interprètes révèlent des qualités de tessitures d’une très agréable homogénéité, très bien différenciées pour chaque personnalité, à commencer par Jarrett Ott, baryton américain que l’on retrouvera dans ‘The Exterminating Angel’ à l’Opéra de Paris la saison prochaine, qui donne beaucoup de soi pour exprimer le charme d’une jeunesse mature.

Wallis Giunta, qui interprète la belle-sœur de Bess, fait aussi forte impression par la finesse de son timbre qui évoque une grande pureté d’âme, alors que Susan Bullock brosse un portrait très traditionnel et plutôt mélodramatique de la mère. Quant à Elgan Llŷr Thomas, il donne une allure faussement naïve et un peu hors du temps au Dr Richardson.

Sydney Mancasola (Bess) et l'Ensemble Aedes

Sydney Mancasola (Bess) et l'Ensemble Aedes

L’orchestre de Chambre de Paris est surprenant par la densité de son qu’il restitue avec de beaux volumes, toujours doué d’une très grande clarté de timbres, et Mathieu Romano guide les ensembles avec un sens de l’abnégation qui se met au service d’une profondeur dramatique obsessionnellement prenante.

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