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Publié le 29 Juin 2023

Saint-François d’Assise (Olivier Messiaen -
28 novembre 1983 - Paris, Palais Garnier)
Représentation du 25 juin 2023
Stuttgart Staatsoper

Saint François Michael Mayes
L’Ange Beate Ritter
Le lépreux Moritz Kallenberg
Frère Léon Danylo Matviienko
Frère Massée Elmar Gilbertsson
Frère Élie Gerhard Siegel
Frère Bernard Marko Špehar
Frère Sylvestre Elliott Carlton Hines
Frère Rufin Anas Séguin

Direction musicale Titus Engel
Mise en scène Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan (2023)

A l’approche du quarantième anniversaire de la création de ‘Saint-François d’Assise’ au Palais Garnier, Viktor Schöner monte pour la première fois à l’Opéra de Stuttgart le chef-d’œuvre d’Olivier Messiaen, évènement qui pourrait laisser croire qu’il chercherait à prolonger l’engagement qu’avait Gerard Mortier pour cet ouvrage. 

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

En effet, collaborateur de ce dernier à la Ruhrtriennale, il fut, en même temps qu’Alexander Neef, l’un des directeurs adjoints du directeur flamand à la tête de l’Opéra de Paris, au moment où celui-ci montait à Bastille en 2004 une nouvelle production de ‘Saint-François d’Assise’ sous la direction scénique de Stanilas Nordey.

Par la suite, lorsqu’il prit la direction artistique de l’opéra de Munich, Viktor Schöner confia en 2011 une production à Hermann Nitsch, alors qu’au même moment Gerard Mortier programmait au Teatro Real de Madrid la production d’Ilya et Emila Kabakov originellement conçue pour Bochum en 2003.

Production de Saint-François d'Assise par Ilya et Emila Kabakov (Madrid, 2011)

Production de Saint-François d'Assise par Ilya et Emila Kabakov (Madrid, 2011)

Le spectacle qui est cette fois proposé par Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan à Stuttgart dépouille partiellement l’œuvre de son mysticisme, tout en cherchant à connecter l’auditeur à la nature. Pour se faire, si le premier acte et le troisième acte se déroulent bien à l’opéra d’État, le second va être joué au parc Wartberg situé à 3 km au nord du centre ville, puis sur la scène construite au sommet du Killesberg.

Débutant à 14h en ce dimanche après-midi, il faudra en effet attendre 22h10 pour que la représentation s’achève par une standing ovation qui saluera autant les artistes de cette production marathonienne que le public lui-même pour son courage et sa concentration.

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Dans la première partie, l’orchestre est disposé en arrière scène alors qu’une simple mise en espace est jouée à l’avant scène. Trois claviers de types xylophone, xylorimba ou marimba sont disposés tout autour du Titus Engel, et l’ensemble des musiciens semblent former un amphithéâtre tout autour de lui.

Saint-François d’Assise et frère Léon sont d’abord habillés de façon conventionnelle, en noir, comme s’ils assistaient aux funérailles d’un lièvre étendu au sol, symbole associé au christ et à sa résurrection. Puis, Saint-François revêt un humble vêtement aux teintes vertes qui amorce une dialectique visuelle totalement vouée au panthéisme de la nature.

Une fois Frère Léon endormi, le lièvre est recouvert de terre et de jeunes pousses, l’ombre d’un grand arbre se projette sur le rideau transparent qui sépare l’orchestre de la scène, et le lépreux survient sous forme d’un agglomérat de champignons parasites.

L'orchestre de l'Opéra de Stuttgart

L'orchestre de l'Opéra de Stuttgart

Puis, à la grande surprise du spectateur, l’Ange apparaît en fond de scène sous la forme d’une mante religieuse (‘Gottesanbeterin’ en allemand) dont deux pans de tissu qui pendent en bout de bras représentent les pattes semblant prier. Son costume scintillant multicolore en fait un être magique et moins inquiétant que l’insecte originel.

Des projections de vidéos d’oiseaux sautillants de toutes parts sont également utilisées pour illustrer la rythmique de la musique, et le baiser de Saint-François au lépreux aura juste pour effet de débarrasser ce dernier de son laid costume et de le rendre en homme normal habillé de noir.

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Au cours de cette première partie, c’est avec grand plaisir que l’on retrouve le jeune baryton ukrainien Danylo Matviienko, ancien résident de l’Académie de Musique de l’Opéra de Paris, devenu membre de la troupe de l’Opéra de Francfort. D’une très belle unité de timbre sombre et charmeuse, il rend aussi le texte de Frère Léon bien intelligible tout en lui adjoignant une solide prestance.

Moritz Kallenberg, en lépreux, est naturellement plus clair, mais a aussi cette même souplesse de timbre qui rend son personnage émouvant, et la première apparition de Beate Ritter révèle une très sensible luminosité subtilement vibrante qui accroît la nature hypnotique du chant de l’Ange.

Beate Ritter (L’Ange)

Beate Ritter (L’Ange)

Et en Saint François, Michael Mayes fait entendre une voix très noire et ténébreuse qui donne beaucoup d’ampleur et d’autorité à son personnage, sans toutefois atteindre la netteté d’élocution avec laquelle José van Dam, créateur du rôle, a si bien caractérisé le Saint pendant 20 ans.

Les interventions du chœur au parterre, mais aussi sur les bords des balcons au milieu des spectateurs, sont impressionnantes par leur élégie et leur pureté, et forment la manifestation la plus divine de ce spectacle qui ne fait que commencer.

Soleil traversant les arbres du Killesberg

Soleil traversant les arbres du Killesberg

Car après cette première partie en trois tableaux qui a d’emblée démontré comment Titus Engel faisait corps avec son orchestre pour donner de l’emprise à cette musique si riche en polyphonie et vivacité de traits, le public est désormais convié à se séparer en petits groupes qui vont être emmenés les uns après les autres aux jardins de Wartberg situés à quatre stations de métro de l’opéra.

Le transfert dure 45 minutes et, arrivé au bord du bassin artificiel Egelsee, chacun se voit remettre un petit lecteur mp3 qui lui permettra d’écouter le 4e tableau ‘L’Ange voyageur’ tout en se promenant dans le parc afin de rejoindre, avant 18h, le théâtre situé en haut du Killesberg où vont se dérouler les deux tableaux suivants.

Figurante jouant L'Ange au parc de Wartberg.

Figurante jouant L'Ange au parc de Wartberg.

On perd donc un rapport direct à l’interprétation de ce quatrième tableau, mais la qualité du lecteur permet quand même d’apprécier la rutilance des cuivres aussi théâtraux que dans la rencontre entre Siegfried et Fafner au cours de la seconde journée de la Tétralogie de Wagner, ainsi que la finesse mélodique autant instrumentale que vocale, où se démarque l’éclat charismatique du Frère Élie de Gerhard Siegel, grand interprète que l’on ne pourra donc pas entendre en vrai. 

La fraîcheur de timbre de Beate Ritter est elle aussi toujours aussi agréable. 

Et au cours de la montée sur la colline, plusieurs sosies de l’ange-mante religieuse se dissimulent dans la nature près des chemins des randonneurs.

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Michael Mayes (Saint François d'Assise)

C’est donc sur les gradins de la scène évènementielle du Killesberg entourée d’arbres et de pelouses que les spectateurs retrouvent l’ensemble de l’orchestre en plein air. Le soleil de fin de journée éblouit certains auditeurs, et les oiseaux environnants mêlent leur chant à la musique, ce qui a particulièrement de l’effet lors du Prêche aux oiseaux.

La mise en espace est assez simple, et des figurants amènent progressivement des pancartes dessinant des oiseaux de toutes les couleurs qui seront incrustées dans l’estrade centrale.

Le chœur sur la scène du Killesberg

Le chœur sur la scène du Killesberg

La voix très sonore de Michael Mayes s’adapte très bien à l’ouverture de ce lieu livré aux bruits de la nature et des cieux, et le chanteur s’arroge une très grande sympathie lorsqu’il se met à incarner un Saint-François qui prêche en déambulant parmi les sièges du public. Nous ne sommes pas loin d’assister à une forme de cérémonie hippie, et chacun peut s’amuser à reconnaître les espèces d’oiseaux qui sont représentées.

Titus Engel doit aussi bien garder l’œil sur les musiciens que sur le chanteur qui bouge partout dans l’enceinte, et il conduit avec une apparente décontraction un orchestre qui vibre à l’unisson. Le plein air a cependant tendance à atténuer le relief orchestral, ce que le spectateur compense toutefois par une plus grande proximité. Le chœur, lui, est toujours aussi splendide et bénéficie d’une estrade spécifique érigée en arrière du public pour donner de la voix dans les meilleurs conditions.

Saint-François d’Assise (Mayes Mahler Connan Engel) Stuttgart

Et après cette culmination en milieu extérieur, tout le monde se retrouve à l’opéra pour profiter d’un en-cas dans le soleil couchant, face au lac qui borde le bâtiment qui eut la chance d’avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale.

Retour aux conventions pour les deux derniers tableaux, ‘Les stigmates’ et ‘La mort et la Nouvelle Vie’, puisque l’orchestre se trouve cette fois intégralement dans la fosse, et relativement serré.

La mort et résurrection de Saint-François est mise en scène sous la forme d’un immense soleil dont les rayons jaunes dorés sont pris dans une toile qui descend pour recouvrir le vieil homme lentement.

Titus Engel (Direction musicale)

Titus Engel (Direction musicale)

Le chœur, apparaissant d’abord en rampant comme des insectes, est vêtu de bermudas et de bandanas, et accompagne cette transformation avec une puissance évocatrice absolument grandiose.

Un large miroir domine la scène, et la vidéographie d’une mante religieuse naissant de son ancien corps est projetée pour imaginer cette forme de résurrection naturelle.

Malgré l'heure avancée, tout le monde, de l'orchestre au chœur, est à son plus haut niveau artistique, et Michael Mayes se fait même plaisir de façon très démonstrative à déployer un souffle phénoménal et retentissant, la plus forte manifestation qui soit d'une vie qui se regénère. 

Marko Špehar (Frère Bernard), Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Marko Špehar (Frère Bernard), Danylo Matviienko (Frère Léon) et Michael Mayes (Saint François d'Assise)

Anna-Sophie Mahler et Katrin Connan synthétisent ainsi dans ce dernier acte leur rêve d’une société distanciée de son environnement urbain afin de reconstituer une communauté en communion avec la nature, ce que Saint-François d’Assise symbolise à leur yeux.

Il n’est pas étonnant d’être confronté à des points de vue sensiblement écologiques dans les théâtres allemands, mais la principale qualité de cette production est de rendre une œuvre monumentale et intimidante accessible à tous, de la démystifier en quelque sorte, et de lui donner une dimension modeste et ludique. Et l’engagement de l’ensemble de la distribution a été essentiel pour arriver à cette fin.

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Publié le 31 Janvier 2019

Rusalka (Antonín Dvořák)
Représentations du 29 janvier et du 01, 07 et 13 février 2019
Opéra Bastille

Le Prince Klaus Florian Vogt
La Princesse étrangère Karita Mattila
Rusalka Camilla Nylund
L'Esprit du lac Thomas Johannes Mayer
Ježibaba Michelle DeYoung
La Voix d'un chasseur Danylo Matviienko
Le Garçon de cuisine Jeanne Ireland
Première nymphe Andreea Soare 
Deuxième nymphe Emanuela Pascu.
Troisième nymphe Élodie Méchain      

Le Garde forestier Tomasz Kumiega                             Klaus Florian Vogt et Karita Mattila  

Direction musicale Susanna Mälkki
Mise en scène Robert Carsen (2002)

Depuis son entrée au répertoire en juin 2002, à l'initiative d'Hugues Gall, Rusalka a été repris par chaque directeur, Gerard Mortier, Nicolas Joel et, dorénavant, Stéphane Lissner, démontrant l'unanimisme non seulement pour le chef-d’œuvre d'Antonín Dvořák, mais également pour la mise en scène si belle et si sensible de Robert Carsen.

Double inversé de la chambre suspendue au-dessus du lac où vit la créature des eaux, lumières tamisées et roses rouges entourant le lit nuptial, ondes marines qui se projettent devant les nymphes, la scénographie épure et entrelace réalité et fantastique avec une virtuosité qui fait de cette production un incontournable du metteur en scène canadien, avec celle de Capriccio qu’il réalisa pour le Palais Garnier deux ans plus tard.

Camilla Nylund (Rusalka)

Camilla Nylund (Rusalka)

Et, contrairement aux dernières reprises, ces nouvelles représentations s’abstiennent de faire appel dans les rôles principaux à des chanteurs d’origine slave, et sont confiées à une directrice musicale finlandaise.

Passionnée par les œuvres du XXe et XXIe siècle - elle a en effet déjà dirigé Siddharta, L’Affaire Makropoulos et Trompe-la-mort à l’Opéra de Paris-, Susanna Mälkki s’applique sans relâche à entretenir la tonicité de l’orchestre, tout en tirant sur les cuivres, les percussions et les sonorités métalliques, parfois fort tranchantes, avec une technicité indéniable, mais également une volonté de maintenir les cordes dans des teintes froides, sans effet de rubato qui pourrait évoquer une atmosphère trop sentimentale.

Camilla Nylund (Rusalka) et Klaus Florian Vogt (Le Prince)

Camilla Nylund (Rusalka) et Klaus Florian Vogt (Le Prince)

Camilla Nylund, dont la diction claire montre ses affinités avec l’univers des héroïnes straussiennes, décrit dans le premier acte une jeune fille un peu extérieure à ses douleurs, et se situe sur le même plan vocal que Michelle DeYoung, en Ježibaba, qui ne diffère d’elle que pas des couleurs légèrement plus sombres, sans grande différence d’ampleur.

Karita Mattila (La Princesse)

Karita Mattila (La Princesse)

Dans le second acte, l’arrivée triomphale de Karita Mattila, somptueuse de chaleur et de rayonnement, ne fait que mettre plus à mal le personnage de Rusalka, écrasée par cette princesse si sûre de sa volupté. C’est donc au dernier acte, après l’injonction au meurtre proférée par Ježibaba, que Camilla Nylund donne plus de consistance à son personnage, épanouissant ainsi Rusalka dans son être de femme entière.

Elle est également la seule, parmi les premiers rôles, à faire entendre des sonorités typiques de la langue du livret.

Jeanne Ireland (Le garçon de cuisine) et Tomasz Kumiega (Le Garde forestier)

Jeanne Ireland (Le garçon de cuisine) et Tomasz Kumiega (Le Garde forestier)

Et le cœur de l'Esprit du lac de Thomas Johannes Mayer bat tel celui de l'esprit de la mélancolie noire, et bienveillante, entouré des trois nymphes d'Andreea Soare, Emanuela Pascu et Elodie Méchain, aux voix homogènes.

Quant à Klaus Florian Vogt, immense chanteur wagnérien associé aux rôles de Tannhäuser, Lohengrin et Parsifal, il trouve, à l’instar du personnage de Paul dans Die Tote Stadt, une incarnation qui lui convient bien, que ce soit par le charme du Prince ou par l’éclat juvénile de son timbre. Il doit toutefois composer avec une écriture qui lui offre moins d’occasions de déployer sa puissance et sa largeur vocale, et qui devient plus exigeante dans les aigus au dernier acte, ce qui tend à renforcer la clarté nasale de ses intonations. L’inimitable unicité de ce chanteur n’en est pas moins totalement captivante à admirer.

Klaus Florian Vogt et Camilla Nylund

Klaus Florian Vogt et Camilla Nylund

Et finalement, c’est parmi les seconds rôles, tous des artistes issus de l'Académie de Musique de l'Opéra, que l'on retrouve des sonorités slaves, notamment chez Danylo Matviienko, jeune chanteur ukrainien qui n'incarne la voix du chasseur qu’en coulisse, et Tomasz Kumiega, dont on sent poindre les accents graves et nonchalants d'Eugène Onéguine. 

Jeanne Ireland, en garçon de cuisine, montre aussi une belle présence et de la brillance, et nous rappelle que c’est dans ce rôle, il y a 16 ans, que nous découvrions Karine Deshayes pour la première fois sur la scène de l’opéra Bastille.

Danylo Matviienko (la voix d'un chasseur), Jeanne Ireland (le garçon de cuisine) et Tomasz Kumiega (le garde forestier)

Danylo Matviienko (la voix d'un chasseur), Jeanne Ireland (le garçon de cuisine) et Tomasz Kumiega (le garde forestier)

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