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Publié le 22 Mars 2024

Simon Boccanegra (Giuseppe Verdi – La Fenice de Venise, le 12 mars 1857, puis seconde version à La Scala de Milan, le 24 mars 1881)
Répétition générale du 8 mars et représentation du 19 mars 2024
Opéra Bastille

Simon Boccanegra Ludovic Tézier
Maria Boccanegra Nicole Car
Jacopo Fiesco Mika Kares
Gabriele Adorno Charles Castronovo
Paolo Albiani Étienne Dupuis
Pietro Alejandro Baliñas Vieites
Un capitano dei Balestrieri Paolo Bondi
Un’ ancella di Amelia Marianne Chandelier
Maria Fiesco, rôle muet Annie Lockerbie Newton

Direction musicale Thomas Hengelbrock
Mise en scène Calixto Bieito (2018)

La reprise de la production de ‘Simon Boccanegra’ dans la mise en scène de Calixto Bieito, la quatrième à l’Opéra de Paris après celles de Giorgio Strehler, Nicolas Brieger et Johan Simons, permet de se confronter à nouveau à la force d’un théâtre psychique dont la forme dramatique vise à faire ressentir les souffrances que subit le corsaire génois devenu, en 1339, le premier Doge à vie.

Ludovic Tézier (Simon Boccanegra)

Ludovic Tézier (Simon Boccanegra)

Cette approche qui ne vise pas à raconter de manière descriptive la portée au pouvoir par le peuple, puis la redoutable conspiration menée par Paolo, déroute forcément une partie du public traditionnel attaché à la représentation fastueuse d’un XIVe siècle révolu, alors qu’elle cherche en réalité à produire des images qui touchent la sensibilité du spectateur pour le faire réagir à cette violence, ce qui est le contraire d’un théâtre élitiste.

Simon Boccanegra - mise en scène Calixto Bieito

Simon Boccanegra - mise en scène Calixto Bieito

Le décor unique axé sur un vaisseau spectaculaire, fantomatique et squelettique, les entrailles à ciel ouvert, tourne selon les scènes sous des éclairages savamment réglés pour créer des jeux d’ombres angoissants, et nous enferme dans l’univers mental de Simon Boccanegra, dépressif et qui court à la mort.

Le visage de Ludovic Tézier est ainsi projeté en arrière scène, et les lignes du navire semblent étudiées pour épouser ses traits. L’esthétique des plans vidéo filmés en temps réel ajoute au relief visuel tout en dégageant une beauté triste et froide.

Nicole Car (Maria Boccanegra)

Nicole Car (Maria Boccanegra)

Mais pour que l’ambiance prenne, il faut aussi une réalisation orchestrale qui ait une véritable puissance dramatique, et la surprise provient de la direction de Thomas Hengelbrock, nouveau directeur musical de l’Orchestre de Chambre de Paris depuis janvier 2024 et chef absolument inattendu dans ce répertoire verdien, lui qui est surtout associé aux périodes classique et baroque.

En terme de coloration, il avive beaucoup le brillant des cordes qui évoque des scintillements marins, et laisse se dégager avec poésie et souplesse de geste les petites touches des vents qui expriment une mélancolie prégnante. Sa lecture est vive et d’une énergie théâtrale efficace dénuée d’effets par trop fracassants, et il enrichit le flux des cordes de mélismes complexes et très expressifs dans l’esprit névrotique de la production, tout en laissant aussi se poser une lenteur crépusculaire pour faire entendre un vague à l’âme noir et diffus qui s’immisce de façon inconsciente à la perception de l’auditeur.

Étienne Dupuis (Paolo Albiani)

Étienne Dupuis (Paolo Albiani)

Ainsi, stupéfiants sont les applaudissements de la salle dès la fin du premier air de Fiesco, un homme issu d’une famille qui soutient le Pape, regardant de haut le corps de sa fille horriblement torturée pour avoir aimé Simon Boccanegra, un partisan de l’Empereur, applaudissements aussi bien justifiés par la poignante noblesse avec laquelle Mika Kares fait ressortir la monstruosité de cet ennemi à vie du marin, que par l’atmosphère happante de l’interprétation orchestrale.

D’ailleurs, ce monde sans pitié qui est décrit doit beaucoup à la qualité des interprètes masculins qui, chacun à leur manière, font ressentir toute absence d’espoir possible.

Charles Castronovo (Gabriele Adorno)

Charles Castronovo (Gabriele Adorno)

Étienne Dupuis est par exemple saisissant dans ce personnage malsain et maladif qui couve en Paolo Albiani, grimé de façon à lui donner l’aspect d’un vieux bandit sur la fin, et d’une intégrité de timbre de belle allure malgré tout, et Ludovic Tézier, faisant résonner une assise grave fort impressionnante va, lui, jouer sur les nuances pour révéler des pensées caressantes, ou bien suggérer envers Paolo des sentiments méfiants, après le soulèvement du peuple, d’une manière qui fait entendre un dialogue intérieur où l’on sent poindre, déjà, le personnage shakespearien, calculateur et lucide, de Iago.

Ludovic Tézier (Simon Boccanegra) et Mika Kares (Jacopo Fiesco)

Ludovic Tézier (Simon Boccanegra) et Mika Kares (Jacopo Fiesco)

Son rôle est épisodique, mais chacune des interventions d’Alejandro Baliñas Vieites, artiste de la troupe de l’Opéra de Paris, sont dessinées avec justesse et un beau contraste, et Charles Castronovo, qui incarne Gabriele Adorno, fait entendre dans le médium des intonations très âpres, mais qui prennent de l’allure et de l’engagement volontaire dans les grands moments d’extériorisation.

Quand ce jeune rebelle réalise sa méprise en ayant cru à une liaison amoureuse entre Amélia et Simon, sa sincérité expressive dans les ombres du décor laisse ainsi l’audience totalement saisie par le cœur qui s’en dégage.

Ludovic Tézier, Nicole Car et Mika Kares

Ludovic Tézier, Nicole Car et Mika Kares

Et Nicole Car, qui est amenée à incarner une Amélia qui finira par porter les séquelles physiques laissées par la violence d’un peuple qui cherchait à travers elle à atteindre Simon, montre qu’elle a gagné en ampleur ces dernières années, et aussi en rondeur de timbre. Certes, la mise en scène décrit sans pitié l'écrasement des femmes par la mécanique machiste du pouvoir masculin, mais l'artiste australienne réussit à projeter un véritable cri de désespoir et donc un sentiment de révolte qui se ressent fortement.

Sa réaction un peu titubante lors de l’accueil chaleureux du public est par ailleurs très touchante.

Charles Castronovo, Nicole Car, Thomas Hengelbrock, Ludovic Tézier, Mika Kares et Étienne Dupuis

Charles Castronovo, Nicole Car, Thomas Hengelbrock, Ludovic Tézier, Mika Kares et Étienne Dupuis

Chœur massif qui donne une image de roc de ce peuple virulent, la dureté de cristal de cet autre protagoniste du drame est ici mise en lumière sans fard.

Cette reprise d’un grand relief laisse ainsi des sensations qui hantent ensuite l’esprit car tout concoure dans cette production à entraîner chacun dans le gouffre de l’âme humaine.

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Publié le 31 Janvier 2023

I Masnadieri (Giuseppe Verdi - 22 juillet 1847 - Her Majesty's Theatre, Londres)
Représentation du 28 janvier 2023
Bayerische Staatsoper - Munich

Massimiliano Christian Van Horn
Carlo Charles Castronovo
Francesco Igor Golovatenko
Amalia Lisette Oropesa
Arminio Kevin Conners
Moser Alexander Köpeczi
Rolla Jonas Hacker

 

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Johannes Erath (2020)

 

Créé 4 mois seulement après la première de 'Macbeth' à Florence, un coup de génie qui sera remanié dans sa version définitive en 1865, 'I Masnadieri' est issu de la volonté de Benjamin Lumley, le directeur du Théâtre de la Reine (Her Majesty's Theatre), de présenter à Londres une création italienne moderne de Giuseppe Verdi.

Bien que les premières suggestions furent évoquées au début du printemps 1846, ce n'est qu'en décembre que le compositeur parmesan confirma son intention de présenter 'I Masnadieri' sur la base d'un livret élaboré par Andrea Maffei, et inspiré de la pièce 'Les Brigands' de Friedrich von Schiller.

Le poète et traducteur ne retint cependant rien de la critique sociale de la pièce d'origine - une charge contre la tyrannie du Duc de Wurtemberg, créée à Mannheim le 13 janvier 1782 -, et se contenta de mettre en scène une sombre et improbable histoire de famille.

Charles Castronovo (Carlo) et Lisette Oropesa (Amalia)

Charles Castronovo (Carlo) et Lisette Oropesa (Amalia)

A entendre ces 'Masnadieri', les passionnés de Schiller seront probablement déçus - Munich est habitué à voir régulièrement sur ses scènes de théâtre 'Die Räuber' -, mais il subsiste la chance de découvrir un rare Verdi de jeunesse, dont la trame de l'histoire se déroule dans une région proche de la capitale bavaroise.

La première de cette production confiée à Johannes Erath eut lieu le 08 mars 2020, avant que tous les théâtres du monde ne soient obligés de fermer leurs portes. Il s'agit donc aujourd'hui d'une véritable découverte musicale pour le plus grand nombre, même si le Gärtnerplatztheater monta l'œuvre en mars 2008 - c'est dire l'importance des 'Brigands' pour cette ville si culturelle -.

Le metteur en scène originaire du Bade-Wurtemberg n'arrive certes pas à augmenter le relief des protagonistes, mais il réussit au moins à laisser planer une atmosphère de fin d'époque avec ce grand décor néo-classique noir et blanc en perspective, précédé d'un double aux lumières cendrées du rideau de l'Opéra de Bavière, comme s'il s'agissait de laisser s'immiscer l'idée que cette institution symbolique pourrait un jour chuter.

Igor Golovatenko (Francesco)

Igor Golovatenko (Francesco)

Et, étrangement, Carlo, le fils préféré de Massimiliano, fait beaucoup penser au personnage maudit du Hollandais volant, ce qui est suffisant pour stimuler le romantisme le plus sombre.

Ce spectacle peut aussi compter sur la direction d'Antonino Fogliani qui révèle toutes les inspirations du compositeur.

A travers son style bien pulsé, et un véritable art de la nuance qu'il exerce même dans les cabalettes aux rythmes les plus systématiques, il alloue un véritable espace de respiration aux chanteurs.

Mais mieux encore, il fait entendre les plus belles couleurs verdiennes de l'ouvrage, depuis les noirceurs superbement galbées qui ont forgé l'atmosphère impressionnante de 'Macbeth', aux subtils frémissements qui s'épanouiront plus tard dans 'La Traviata'. Le lustre de l'orchestre de l'Opéra de Bavière n'en est que plus resplendissant.

Et quel magnifique solo de violoncelle en ouverture, ampli de vibrations sensibles infiniment touchantes!

Lisette Oropesa (Amalia)

Lisette Oropesa (Amalia)

Les solistes sont aussi totalement impliqués dans l'urgence du drame, et retrouver Lisette Oropesa est un véritable plaisir, surtout à l'écoute de son timbre vibrant aux couleurs crème qui flirtent avec les inflexions baroques.

Elle se joue aisément des virtuosités de l'écriture agile et belcantiste de Verdi, ce qui est d'autant plus appréciable qu'elle est la source la plus lumineuse de la représentation.

Charles Castronovo (Carlo)

Charles Castronovo (Carlo)

Charles Castronovo, dans le rôle du fils aîné et préféré, dispose d'un timbre de voix bien plus crépusculaire et tourmenté qui assombrit son personnage, mais la vaillance endurante et le style sont bien présents, ce qui force l'admiration car c'est un chanteur qui ne recule devant aucune incarnation la plus extrême.

Igor Golovatenko, l'odieux frère cadet Francesco, est plus naturellement verdien, et intègre des inflexions mélancoliques qui induisent des traits de faiblesses émouvants en profondeur de sa voix autoritaire. Réussir à amplifier la résonance de ses graves lui permettrait cependant d'accentuer la monstruosité de son personnage, car la jeunesse de l'âge se ressent encore, pour le moment.

 

Antonino Fogliani

Antonino Fogliani

Le charisme de Christian Van Horn s'impose naturellement, même s'il brosse un Massimiliano surtout impressionnant de noirceur maléfique, et Kevin Conners apporte beaucoup de présence à Arminio, en préservant un équilibre qui empêche de le percevoir comme un être véritablement mauvais.

Les chœurs se fondent très bien avec les qualités de souplesse orchestrale, et malgré une dramaturgie peu captivante, l'interprétation musicale de haute tenue, jouée devant une salle pleine, est une récompense inspirante pour tous.

Lisette Oropesa

Lisette Oropesa

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Publié le 20 Juin 2012

Le Couronnement de Poppée (Claudio Monteverdi)

Représentation du 16 juin 2012
Teatro Real de Madrid

Poppea Nadja Michael
Nerone Charles Castronovo
Ottavia Maria Riccarda Wesseling
Ottone William Towers
Seneca Willard White
Drusilla Ekaterina Siurina
Virtud, Palas Lyubov Petrova
Fortuna, Dama Elena Tsallagova
Amor Serge Kakudji
Page Hanna Esther Minutillo
Nourrice d' Ottavia Jadwiga Rappé
Arnalta José Manuel Zapata
Lucano, Liberto Juan Francisco Gatell

Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Direction musicale Sylvain Cambreling
Klangforum Wien
Instrumentation de Philippe Boesmans                            Nadja Michael (Poppée)
 

La nouvelle production du Couronnement de Poppée présentée au Teatro Real est une rare occasion d'entendre l'œuvre de Monteverdi dans l'orchestration de Philippe Boesmans. Cette version fut en effet commandée par Gerard Mortier pour le Théâtre de la Monnaie en 1989, et jouée par un grand orchestre sous la direction de Sylvain Cambreling.

William Towers (Ottone)

William Towers (Ottone)

Mais pour Madrid, le compositeur belge a revu et adapté l’orchestration aux instruments et à l'effectif réduit du Klangforum Wien, un ensemble musical contemporain autrichien comprenant de 20 à 30 pupitres.

Ainsi, si l'enveloppe mélodique est préservée, le climat musical se teint désormais d'une atmosphère voluptueuse qui se substitue à la légèreté champêtre de l‘écriture originelle, et se pare de sonorités chaleureuses et liquides - déferlant de scintillements parfois - d'un synthétiseur, d'un harmonium, d'un piano et d'un célesta.

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Cet univers stylisé et mystérieux devient un support adéquat au théâtre sophistiqué de Krzysztof Warlikowski, et il y a un véritable plaisir à revoir Sylvain Cambreling heureux de diriger un ouvrage que peu auront l’occasion de reprendre, avec un soin amoureux des contrastes incessants et inhérents à cette musique.

Bien que familier des metteurs en scène chers à Mortier - Christoph Marthaler, Johan Simons, Michael Haneke, U. et K-E. Herrmann …-, il s’agit de sa première collaboration avec le directeur polonais, dans une pièce où nombres de personnages sulfureux ne peuvent que toucher ce dernier.

L'idée force de Warlikowski est de suivre une dramaturgie articulée autour d'un événement clé, le suicide de Sénèque, événement qui précipite la décadence d'un monde, la libération des peurs et des désirs, et le triomphe d'une dictature violente.

Willard White (Seneca)

Willard White (Seneca)

L'opéra débute par un cours de philosophie interactif, marqué de la prestance impressionnante et l’élocution mordante de Willard White, et destiné à une classe d'étudiants qui ne sont autres que les futurs acteurs du drame.

L'ambiance est à la détente, et l'on se doute que Warlikowski fait référence à ses propres influences littéraires.

Les textes abordent des thèmes comme les limites de la connaissance de l'autre, ou bien le risque de manipulation politicien par la peur, toutes sortes de peurs.

Maria Riccarda Wesseling (Ottavia) et Jadwiga Rappé (La Nourrice)

Maria Riccarda Wesseling (Ottavia) et Jadwiga Rappé (La Nourrice)

Mais lorsque la musique commence, l'histoire se déroule six ans plus tard, sous le règne de Néron, puis, sur les accords graves et sombres de cuivres dramatiques, défilent des images en clair-obscur de Leni Riefenstahl, artiste connue pour son implication dans le processus d'esthétisation de la politique d'Hitler.

On en retrouve d'autres plus loin, à la gloire de la force masculine allemande, mêlées à la force de l'architecture et de la sculpture antique grecque, civilisation qui fascina et façonna également l'impérialisme romain. 
 

Tout se passe dans un grand gymnase soutenu par quelques piliers latéraux, surplombé en arrière scène par un grand écran pour mettre en valeur les visages et expressions des protagonistes.
Malgré la grande ouverture de la scène, jusqu’au plafond, les voix s’en trouvent valorisées, sans se disperser.

Comme on pouvait s'y attendre, le jeu d'acteur est en mouvement constant, et pousse l'expressivité corporelle dans l'extrémité de ses désirs.

Ottone est présenté comme une figure christique, du moins en apparence, pour laquelle William Towers offre un timbre et des inflexions qui pleurent d'incessantes plaintes.

 

Ekaterina Siurina (Drusilla)

Néron et Poppée surviennent en rampant sur le dos, dans une scène érotique qui place très nettement la future impératrice en position de séductrice, alors que son amant tente de préserver une certaine distance.

Avec un regard aussi perçant que celui de Warlikowski, Nadja Michael est non seulement une artiste très animale, mais également une incarnation vocalement forte et languissante, et le choix d'un ténor comme Charles Castronovo donne à l'Empereur une autorité nerveuse, mais supprime aussi la tendresse ambiguë qu'un contre-ténor aurait normalement exprimée.

Un garde et William Towers (Ottone)

Un garde et William Towers (Ottone)

La belle surprise de la soirée est l'interprétation d'Ottavia par Maria Riccarda Wesseling, elle qui fut découverte dans la première mise en scène de Krzysztof Warlikowski à l'Opéra de Paris, Iphigénie en Tauride.
Tout est superbement rendu, la douleur, la détresse physique, le regard qui cherche en elle-même la vérité des sentiments, et tout cela en évitant absolument le mélodrame.

 Dans les rôles plus secondaires, la Drusilla d’Ekaterina Siurina brille par son charme et sa fraîcheur, Jadwiga Rappé incarne une nourrice chaleureuse, et Hanna Esther Minutillo compose un petit page espiègle et très vivant, un engagement scénique qui dépasse la sensible âpreté de ses couleurs vocales.

Enfin, des trois déesses, la Fortune, la Vertu et l’Amour, Elena Tsallagova est la plus lumineuse, en harmonie avec les sonorités rondes de la musique, tout le contraire de Serge Kakudji qui semble être distribué afin de donner à l’Amour un visage noir.

Warlikowski construit ainsi un cheminement jusqu’à ce que Néron en ait assez de Sénèque, et le pousse au suicide.

Dans ce dernier instant, on voit le philosophe caressant à distance, d’une ombre de la main, une femme qu’il aurait voulu aimer, puis l’arrivée sur scène d’exécuteurs nazis, tous indifférenciés.
La disparition de celui qui imposait une puissance morale, entraîne alors une libération des pulsions les plus retenues, Poppée révélant toute la force dominatrice qui l’anime, et, sans doute plus discutable, le trouble de genre apparaissant chez Néron qui se féminise, sous l'influence de Lucano devenu mauvais garçon.

 

                                                                                              Maria Riccarda Wesseling (Ottavia)

La scène devient de plus en plus envahie des symboles humains nazis et fascistes, les exécuteurs mussoliniens, les Dieux du Stade avec lesquels fuit Ottavia - avec toujours une justification par le texte-, jusqu’à la grande scène finale qui inverse les rôles. Poppée accède à une grandeur dictatoriale absolue.

Tout n’est évidemment pas clair chez Warlikowski, le travestissement d’Arnalta par exemple, mais il signe à nouveau un spectacle très fort et interrogatif, dans l’ensemble plus lisible que certaines de ses pièces de théâtre où l’action peut être parallélisée et plus difficile à suivre.

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Cette version de L'incoronazione di Poppea sera reprise à l’Opéra de Montpellier en mai 2013.

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Publié le 13 Septembre 2009

Mireille (Gounod)
Répétition générale du 12 septembre 2009 et
Actes IV/V du 14 septembre au Palais Garnier
Version originale de 1864 (Théâtre Lyrique)

Direction musicale Marc Minkowski

Mise en scène Nicolas Joel

Mireille Inva Mula
Vincent Charles Castronovo
Ourrias Franck Ferrari
Maître Ramon Alain Verhnes
Taven Sylvie Brunet
Andreloun Sébastien Droy
Maître Ambroise Nicolas Cavallier
Clémence Amel Brahim-Djelloul
Vincenette Anne-Catherine Gillet
Le Passeur Ugo Rabec
Une Voix d’en-haut Sophie Claisse

                                                              Sylvie Brunet (Taven) et Charles Castronovo (Vincent)

Par une surprenante coïncidence, la dernière saison de Gerard Mortier avait débuté à l’Opéra Garnier avec Eugène Onéguine. Nicolas Joel se rend-il compte de l’originale réponse que représente Mireille pour l’ouverture de sa première saison?

Quel rapport direz vous ?  A l’écoute, se produit à plusieurs reprises le sentiment d’une atmosphère intime déjà entendue. « Et moi, si par hasard, quelque jeune garçon… » (acte 1, scène 3), « Trahir Vincent, vraiment ce serait être folle! » (acte 2, scène 5), « Frappez… et que Dieu vous pardonne! » (acte 2 scène 10), « Heureux petit berger » (acte 4, scène 6), ces quelques airs font ressurgir les sincères pensées de Tatiana, emportées dans fin tissu musical ondoyant (scène de la lettre).

Renseignement pris, Tchaïkovski avait entendu Mireille, ce qui laisse peu de doute sur l’inspiration qu’il a pu y puiser, ne serait ce que par le thème de la campagne.

Amel Brahim-Djelloul (Clémence) et Inva Mula (Mireille)

Amel Brahim-Djelloul (Clémence) et Inva Mula (Mireille)

Car l’intérêt de cet opéra peu connu de Charles Gounod réside bien plus dans la musique que dans l’histoire. La foi de Mireille y est exagérément mise en avant, au point d'affaiblir la crédibilité et la force de ses sentiment amoureux.

Malgré cinq actes, 2 heures quarante de musique, et un livret peu touchant, l’oreille a de réels motifs d’être en permanence captivée, que ce soit par les ornements du hautbois, les voix surnaturelles, les airs de personnages qui ne sont que de passage, bref une vie incessante, où ne manquent que quelques duetti.

Avec Marc Minkowski les partitions reprennent toujours un influx nerveux rajeunissant, une dynamique stimulante, qui donnent lieu à quelques excès lorsqu’il s’agit d’impressionner.
Quelquefois, le rythme s’accélère même, ce qui demande aux chanteurs un effort certain pour tenir la cadence.

Mais le résultat est là : le spectateur ne décroche pas, éveillé par un son chaleureux, à l’image du climat convivial et exigeant entretenu par le chef.

Le chant est la valeur que souhaite défendre le nouveau directeur de l’Opéra de Paris. Avec toutes les précautions d'usage à propos d'un répétition générale, on peut prévoir que les représentations de Mireille vont soulever quelques discussions.

Alain Verhnes en impose sans problème, et Sylvie Brunet surprend par la qualité de son interprétation, beaucoup de filets de voix très aériens, caressants, sont comme des mots d’amour à Mireille. Taven, plus une mère qu’une sorcière.

Brève apparition, mais idéale en Vincenette, Anne Catherine Gillet est un enchantement de fraîcheur (phrasé impeccable en plus).

Cependant, le personnage principal n’est pas à la portée de toutes les chanteuses. La créatrice du rôle, Caroline-Marie Miolan Carvalho, était elle même effrayée par la scène de Crau, exigeant de solides ressources dramatiques.
                                  Alain Verhnes (Maître Ramon)

Inva Mula se donne pourtant totalement dans ce rôle avec un cœur et un courage visibles. Elle a pour elle une bonne expérience de l’Opéra français, une puissance vocale, et du charme.

Reste que ce soir lui font défaut rondeur et aération vocales.
Les aigus sont souvent étouffés, les pianis confidentiels, le sens mélodique se perd un peu. Mireille reste trop pâle, trop sentimentale jusqu’au bout.

Charles Castronovo, beau timbre sombre, semble également rester en retrait, plus terne qu'à son habitude, Franck Ferrari, comme très souvent dans les rôles noirs, privilégie les expressions violentes et brutes, Amel Brahim-Djelloul paraît bien discrète même à Garnier, et le passeur d’Ugo Rabec ne fait trembler personne.

Mireille (Gounod) au Palais Garnier - msc Nicolas Joel

Mais qu’aurions nous aimé entendre la voix d’en haut de Sophie Claisse pour incarner le jeune berger, car en confiant ce rôle ci à un ténor (Sébastien Droy), l’angélisme de l’enfant disparaît tout simplement, nous valant la plus grande frustration de la soirée.

Spécialiste des mises en scènes naïves, Nicolas Joel, épaulé par le décorateur Ezio Frigerio, présente une vision de Mireille qui ne surprendra personne parmi les habitués des spectacles du Capitole. Les blés sont dorés comme l’or de Garnier, la surface du Rhône (joli tableau visuel et musical) scintille sous les lueurs de la Lune, et les éclairages les animent comme par le vent.

Programmer et diriger Mireille, avec une équipe artistique qu'il apprécie totalement, est donc d'abord pour le nouveau directeur de l'Opéra de Paris une manière de se présenter et de dire "Voilà un moyen de mieux me connaître, et mes goûts sont ainsi.".

L'escalier fleuri lors de la première représentation de Mireille au Palais Garnier

L'escalier fleuri lors de la première représentation de Mireille au Palais Garnier

Un certain sens de la provocation peut-on dire.

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Publié le 16 Octobre 2007

Le Roi d’Ys (Edouard Lalo - 1888)

Représentation du 14 octobre 2007 (Capitole de Toulouse)
 
Le Roi d’Ys Paul Gay
Margared Sophie Koch
Rozenn Inva Mula
Mylio Charles Castronovo
Karnac Franck Ferrari
St Corentin Eric Martin-Bonnet
Jahel André Heyboer
 
Direction musicale Yves Abel
Mise en scène Nicolas Joel
                                                                                           Sophie Koch (Margared)
Une ouverture de saison à l’Opéra de Toulouse est quelque chose qui ne se rate pas. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’en octobre la chaleur des lumières de l’après-midi sur la place du Capitole distribue une ambiance empreinte de sérénité qui vous place dans une prédisposition optimale surtout quand le sujet de l’œuvre relève du fantastique et de la légende.
 
Allons donc découvrir cette ville d’Ys sujet d’un conte celte que j’ai pris soin de lire bien avant.
 
Passée l’ouverture épique, Yves Abel nous plonge dans les reflets d’une musique dont l’étendue vaporeuse efface les dimensions modestes du théâtre.
 
La dynamique est d’ailleurs tout aussi parfaite quand le drame frise l’hystérie, et je pense ici à l’affrontement entre Margared et Rozenn. C’est d’un théâtral étrangement similaire à la rencontre entre Adrienne et la Princesse que Francesco Cilea créa 14 ans plus tard avec Adrienne Lecouvreur.
Inva Mula et Charles Castronovo

Inva Mula et Charles Castronovo

Inva Mula est épatante, puissance vocale dont nous n’avions pas l’habitude, couleurs dorées, diction fluide, elle s’oppose à une Sophie Koch inattendue dans un emploi aussi lourd. La caractérisation reste un peu sommaire dans le fameux air « De tout côté j’aperçois dans la plaine » où aucune inflexion ne vient briser un tempérament dur et déterminé. Mais l’impact de ce timbre d’un bronze souple est indiscutable. Oublié le petit compositeur torturé d’Ariane à Naxos, voici donc une nouvelle diabolique.
 
C’est exactement l’évolution inverse que suit Franck Ferrari. Admirable dans les rôles de salauds à Paris (Paolo, Thoas, Lindorf), il se veut un peu moins brutal et soigne plus les lignes de chants et les changements de tonalités. La stature de Karnac en souffre un peu je trouve.
 
Après le succès de l’Élixir d’Amour à Paris, Charles Castronovo confirme qu’il est un ténor que l’on va de plus en plus réclamer dans les rôles d’amoureux pour lesquels la musicalité et les obscurités vocales le prédestinent.
 
Paul Gay assume à la fois l’autorité et les sentiments profonds pour sa fille avec beaucoup de dignité.
Dernière scène (C.Castronovo, I.Mula, S.Kock, P.Gay)

Dernière scène (C.Castronovo, I.Mula, S.Kock, P.Gay)

Le très bel escalier en marbre bleu qui se sépare des deux côtés de l’espace scénique fixe une force architecturale marquante et magnifique sous les cascades d’eau finales.

Le livret s'attarde sur les accusations de wagnérisme portées à l'époque contre l'oeuvre. Il faut replacer ce jugement dans le contexte politique d'une époque dominée par un fort sentiment anti-allemand et ne pas lui donner de valeur artistique. Je n'ai par ailleurs aucunement pensé à Wagner de tout l'après-midi.

Les scènes s'enchaînent sans trêve (hors entracte) durant deux petites heures si bien qu'avec une distribution aussi homogène et impliquée il y a surtout de quoi laisser l’imagination s'épanouir.

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